« Nous favorisons une lecture claire de l’espace, nous épurons, en fait. »

En 2007, Lisa-Marie Fortin et Louis Thellend, deux architectes architalentueux et maintes fois primés, fondent la firme Thellend Fortin Architectes. Qu’est-ce qui fait l’originalité des réalisations très prisées de ces deux architectes d’envergure internationale, qui s’illustrent tant au Québec qu’aux États-Unis, au Koweït, en Espagne, en France?

« Dès l’abord, notre travail est basé sur une lecture très sensible du contexte, me dira d’emblée monsieur Thellend. Chaque projet est unique, chaque projet s’inscrit dans un contexte différent, que ce soit urbain ou en villégiature, au bord d’un lac ou sur une montagne. Nous adoptons une approche personnalisée pour combler les besoins différents de chaque client. Nous sommes attentifs à la lecture du lieu afin de nous y intégrer harmonieusement, selon notre langage architectural. Habituellement, en ce qui concerne la forme, nous travaillons avec des idées et des gestes clairs. On conserve une géométrie simple : de grands axes, des symétries, des alignements. Nous favorisons une lecture claire de l’espace, nous épurons, en fait. Notre travail est à l’inverse d’un langage éclectique. »

« En ce qui a trait à l’environnement, nous privilégions la luminosité, les percées extérieures. Climatiquement parlant, il s’agit d’intégrer l’ensoleillement. Sans être une firme spécialisée dans l’architecture verte, on met le soleil à contribution! Nous travaillons presqu’à 100 % avec des dalles de béton chauffantes, question de confort. La géothermie aussi devient intéressante selon les budgets, la rentabilité, la dimension de la demeure, surtout en villégiature; en ville, les maisons ne sont parfois pas assez volumineuses. Cette belle technologie comporte des avantages : il n’y a pas de thermopompe à l’extérieur; tout étant à l’intérieur, c’est plus stable en cas d’intempéries. Cependant, les thermopompes air-air sont maintenant efficaces, on y recourt également. Puis on travaille avec les dalles chauffantes. Celles-ci, combinées à l’apport du soleil, créent au niveau du sol une masse thermique qui redistribue sa chaleur quand le soleil se couche. On se préoccupe aussi de la surchauffe; on veille à ce que les débords de toit maximisent le soleil l’hiver, maximisent l’ombrage l’été. Il n’y a pas d’absolu au départ. Suivant la lecture du projet, on peut amener ce type de propositions. »

« Les Hauts-Bois, c’était particulier, parce que la vue s’orientait côté Nord, le soleil était de l’autre côté. Il a fallu travailler une construction très, très étroite pour favoriser un ensoleillement transversal. »

« En premier plan, une maison qui soit ensoleillée, efficace énergétiquement. » Louis Thellend

Quand il s’agit de présenter une maison qui se démarque par son originalité combinée aux critères sains et écologiques, monsieur Thellend s’accorde un moment de réflexion, le temps de passer mentalement en revue leurs multiples réalisations.

« Je dirais les Hauts-Bois. C’est une maison vraiment longue, mince! Les Hauts-Bois, c’était particulier, parce que la vue s’orientait côté Nord, le soleil était de l’autre côté. Il a fallu travailler une construction très, très étroite pour favoriser un ensoleillement transversal. Les pièces ainsi disposées en enfilade, chacune pouvait bénéficier du soleil, surtout l’hiver. Comme cette maison est bâtie dans la forêt, l’été, les arbres la protègent. À la suite de l’évaluation sur la rentabilité de la géothermie, les clients ont préféré les planchers chauffants alimentés par une thermopompe, ce qui est plus économique; et c’est quand même très bien. Pour l’utilisation des produits, on a évidemment privilégié les matériaux sans COV [composés organiques volatils polluant l’air] et pour l’utilisation de l’énergie, comme il y a beaucoup plus d’ouvertures, de fenêtres que le Code sur l’efficacité énergétique le préconise, nous avons isolé davantage les murs et la toiture. À l’exécution des travaux, le plus important, c’est de couper les ponts thermiques au niveau des détails de construction pour rendre la maison la plus chaude et la plus étanche possible. »

« On offre toujours le triple vitrage en option, pour nous, ça devient un standard. En Europe, c’est déjà un standard. »

Utilisez-vous du triple vitrage? « On offre toujours le triple vitrage en option, pour nous, ça devient un standard. En Europe, c’est déjà un standard, ajoute l’architecte. Ici, la plupart des manufacturiers offrent l’option, encore là, ça dépend du portefeuille. En ce moment, on a un projet en construction tout en vitrage triple. Certains dépenseront plus, pas seulement pour le rendement énergétique, mais aussi pour la performance acoustique. Les clients sont-ils prêts à dépenser un certain pourcentage de plus pour un vitrage triple plutôt qu’un vitrage double? Sur une résidence qui coûte deux millions, ça vaut-il la peine d’investir 150 000 $ plutôt que 100 000 $? L’idée, c’est de conscientiser les gens. On leur dit : “Écoutez, on est en 2024, en Europe, c’est devenu un standard, quasiment obligatoire.” Évidemment, nous n’imposons pas, mais nous proposons les deux. C’est facile pour nous de demander une soumission en amont, certaines compagnies se spécialisent dans ce service. Notre industrie est un peu plus lente pour imposer des produits. Par exemple, dans la ville de Montréal, les fenêtres doivent être certifiées ENERGY STAR®. Les réglementations imposent également des coefficients U de transmission de chaleur maximum. Nous, on enseigne, on informe. C’est important. Parfois, juste d’exposer les diverses options donne des résultats. »

« C’est peut-être l’âge, la sagesse, mais on essaie d’être plus respectueux envers la nature, envers le lieu aussi. » Louis Thellend

Quand on aborde la question des enjeux les plus importants de l’architecture, Louis Thellend montre du doigt l’inévitable inflation : « Bien que le résidentiel personnalisé soit une niche un peu plus sur mesure, le post-COVID a fait exploser les coûts. Alors on essaie de s’approvisionner à l’échelle locale, de maximiser les produits d’ici, de réduire le transport. De plus, si ça vient d’ici, ça permet d’avoir un meilleur contrôle sur le service. Parfois, on n’a pas le choix; comme on dit, si le cèdre de l’Ouest s’appelle le cèdre de l’Ouest, ce n’est pas pour rien! Certains produits viennent d’ailleurs, par exemple, des produits européens de finition, des pierres, des produits de plomberie… Les Européens ont un savoir-faire, ils ont un vécu, un passé. Cependant, on n’importe pas directement d’Europe, les importateurs sont déjà implantés ici. C’est peut-être l’âge, la sagesse, mais on essaie d’être plus respectueux envers la nature, envers le lieu aussi. Le caractère traditionnel ne nous fait plus peur, nous reconnaissons les réalisations du passé, nous les respectons. Au début de notre carrière, nous étions plus impulsifs. On arrivait avec un langage qui faisait table rase de ce qui se bâtissait avant. Maintenant, nous sommes plus sensibles, nous aimons bien réinterpréter l’expression du lieu. »

« Par exemple, nous agrandissons actuellement une maison datant de 1850, en Estrie. C’est une maison en brique, alors nous ne travaillons pas avec quelque chose de complètement différent et opposé pour l’agrandissement. On construit dans un langage d’aujourd’hui, mais concernant la texture, on fait un trait d’union entre les deux époques, sans trop de coupure. Nous sommes plus sensibles là-dessus. »

Quand l’inflation avantage l’écologie

« On ne peut pas ignorer l’aspect financier : les coûts ont explosé! Tout a doublé depuis la pandémie, tout a réduit en superficie, ça a vraiment eu un impact. »

Pour illustrer son souci des enjeux actuels, monsieur Thellend insiste : « On ne peut pas ignorer l’aspect financier : les coûts ont explosé! Tout a doublé depuis la pandémie, tout a réduit en superficie, ça a vraiment eu un impact. » Par le fait même, en réduisant la quantité des matériaux requis, l’enjeu financier se trouve à avantager divers enjeux écologiques. « Il y a une volonté de ne plus vivre nécessairement dans la plus grosse maison, poursuit l’architecte. Les projets n’ont pas besoin d’être aussi gros. Par exemple, nous travaillons présentement à un projet où les clients ont fait le choix de réduire la dimension de leur maison, leur nouvelle résidence sera plus petite que la précédente. De grandes idées écologiques se développent en architecture, lance-t-il, nous les considérons et les intégrons autant que possible à notre lecture du projet. Ce qui est sûr, c’est qu’en ce qui concerne les détails de construction, on veillera toujours à procurer une grande étanchéité. On coupera toujours les ponts thermiques, on fera toujours le maximum pour éviter des entrées d’air, bref, pour que le bâtiment soit le plus étanche et le plus efficace possible. »

Donc, vous considérez les principes de base des critères écologiques et vous essayez de les respecter? « Oui, mais sans toutefois se limiter, par exemple, à une structure en bois si les portées sont trop grandes. On se permet d’intégrer de l’acier si nos projets demandent de l’acier. On n’est pas à ce point apôtres de l’architecture écologique. Ce n’est pas strict à 100 %, mais on en tient toujours compte. »

« On essaie d’acheter des produits qui soient pérennes, pas nécessairement des produits marqués 2024, mais des matériaux qui ont des qualités, un langage intemporel. Ce matériau-là, dans vingt ans, sera aussi beau. » Comme la pierre naturelle par exemple? « Oui, mais malheureusement son prix a augmenté, elle est vraiment, vraiment chère dorénavant. »

« Ce n’est pas pour autant tout à fait un casse-tête de concilier l’aspect financier avec l’écologie dans ce contexte-là. On utilise quand même des matériaux de bonne qualité, spécifie Louis Thellend. Ce qui est difficile sur le plan de l’écologie, observe-t-il, c’est que les gens hésitent à investir. Quoi qu’il en soit, nous, nous préconiserons toujours une bonne enveloppe du bâtiment au-delà du design. Notre chapeau d’architecte sera toujours plus gros que notre chapeau de designer. »

L'important, c'est de faire un bâtiment qui est beau et pérenne.

Une architecture qui marque favorablement le présent

Si vous aviez une chose à faire en architecture pour l’écologie, ce serait laquelle? « Pour aider la nature? Moi, ce que je veux, c’est que nos constructions durent longtemps. C’est la pérennité. Avant, les projets duraient des centaines d’années. Quand on boucle le cycle de production : recycler, détruire, enfouir, reconstruire et recommencer, ça génère beaucoup de pollution. Si on construit un bâtiment sur une bonne base, après, on peut l’améliorer, ajouter l’électricité solaire, par exemple. Faire un bâtiment qui se tient, qui est pérenne, qui est beau, qui vieillira bien et qui pourra passer des époques, je pense que c’est la meilleure façon de contribuer à quelque chose d’efficace. »