Les personnes intolérantes aux champs électromagnétiques (CEM) ont des manifestations cérébrales évidentes non observables chez celles qui ne le sont pas, selon une récente étude américaine. L’équipe du toxicologue clinicien californien Gunnar Heuser a soumis dix patients qui se disaient atteints d’électrohypersensibilité (EHS) à une imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), test qui mesure l’activité des neurones qui déclenche une augmentation de la circulation sanguine dans les régions du cerveau sollicitées.
Aujourd'hui âgé de 90 ans, le Dr Heuser est sorti de sa retraite il y a quelques années pour traiter le nombre croissant de patients atteints d’EHS, syndrome qui est devenu sa spécialité comme le montre le nom de son site web, emfdoc.com. Reçu médecin en Allemagne en 1952, il a obtenu un doctorat en médecine et chirurgie expérimentale de l’Université de Montréal en 1957 et un diplôme en médecine interne à McGill en 1959. Également clinicien en neurophysiologie et médecin légiste, il est l’auteur de nombreuses publications, dont l'une parue en 1954 et cosignée avec son mentor, le pionnier montréalais du stress Hans Selye. Longtemps chercheur à l’institut de recherche sur le cerveau de l’Université de la Californie à Los Angeles, Dr Heuser est retourné à l’enseignement et à la pratique de la médecine clinique. Sur plus de trois décennies, il a traité plus de mille personnes empoisonnées par des produits chimiques, dont plusieurs étaient devenues hypersensibles à ceux-ci. Plusieurs d’entre elles présentaient des désordres émotionnels causés par une amygdale hyperactive, selon des scanographies de cette partie du cerveau qui contrôle les émotions.
Comme l’IRMf n’est pas couverte par les assurances, les patients participant à sa plus récente étude ont dû assumer les coûts des tests. Tous avaient travaillé ou vécu dans des environnements où les CEM de basses et hautes fréquences étaient élevés, par exemple un monteur de lignes, un réparateur de batteries et un contrôleur aérien. Plusieurs d'entre eux avaient subi des commotions cérébrales ou des empoisonnements à des produits chimiques. (Dr Heuser les traite notamment avec l'oxygénothérapie hyperbare.) Tous étaient atteints de symptômes multisystémiques intermittents, tels céphalées et autres douleurs, problèmes cognitifs, de mémoire, de coordination, d’équilibre et d’orientation, insomnie, fatigue chronique, cataractes, tremblements, convulsions, perte de conscience et EHS. Ces symptômes apparaissaient et disparaissaient selon leur exposition aux CEM provenant de lignes et appareils électriques filés et sans fil, dont des compteurs intelligents et des antennes de téléphonie cellulaire. Ils ont d’abord tous subi une batterie de tests éliminant la présence de maladies diverses. Des scans cérébraux par tomographie furent exclus pour éviter de les exposer à des radiations. Un test d’imagerie par résonance magnétique classique du cerveau ne montrait pour la plupart aucune particularité chez ces patients.
Intitulée Functional brain MRI in patients complaining of electrohypersensitivity after long term exposure to electromagnetic fields, son étude fut publiée en juillet dernier dans Reviews on Environmental Health, mais sans les images ci-contre comparant le cerveau d’une personne électrosensible avec celui d’une personne qui ne l’est pas. L’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle en trois dimensions a révélé une hyperconnectivité cérébrale dans la région orbitofrontale médiale. L’hyperconnectivité signifie qu’un nombre anormal de secteurs du cerveau sont activés en même temps.
Le Dr Heuser croit que l’exposition aux micro-ondes émises par les infrastructures et appareils de télécommunication sans fil en sont la cause. C’est la première étude à analyser la connectivité fonctionnelle du cerveau en rapport avec les CEM. Le test a généralement décelé d’autres anomalies, dont une réduction de la circulation sanguine dans certaines parties du cerveau. C’est d’ailleurs ce qu’a notamment révélé une étude parue en 2015 et dirigée par l’oncologue français Dominique Belpomme. Son équipe soumettait des patients EHS à une tomosphygmographie cérébrale par ultrasons pulsés (encéphaloscan).
« Nous espérions pouvoir documenter des anomalies objectives chez ces patients souvent étiquetés comme des cas psychiatriques », relate le Dr Heuser en ajoutant : « Tous les scans étaient anormaux avec des anomalies qui étaient consistantes et similaires. Il est proposé que les scintigraphies cérébrales IRMf soient utilisées comme aide diagnostique pour déterminer si un patient présente ou non une hypersensibilité électromagnétique. »
Fait intéressant, le diagnostic différentiel des anomalies observées sur l’IRMf comprend les blessures à la tête, ajoute le Dr Heuser. « Il se trouve que beaucoup de nos patients avaient en effet des antécédents de traumatisme crânien qui ont après été suivis plus tard par le développement de l’EHS. Beaucoup de nos patients avaient également des antécédents d’exposition à des produits chimiques potentiellement neurotoxiques, en particulier les moisissures. Les blessures à la tête et l’exposition aux produits chimiques neurotoxiques peuvent rendre un patient plus vulnérable au développement de l’EHS. Feu Dr Ross Adey a découvert que les produits chimiques et les CEM peuvent interagir et aggraver les effets de chacun. Cette observation fut confirmée chez nos patients. »
« Cette étude apporte la preuve qu’il existe des anomalies dans le cerveau des gens EHS qui ne sont pas présentes dans un cerveau non EHS et pourrait mettre fin au débat sur l’existence de l’EHS, affirme la fondation People’s Initiative qui a organisé l’étude. Elle défie aussi la position largement répandue par l’industrie du sans-fil et les gouvernements selon laquelle l’exposition aux micro-ondes n’a aucune conséquence sur la santé humaine et pourrait avoir une incidence sur l’opinion dominante affirmant que le rayonnement sans fil est réputé sécuritaire. »
L'étude du Dr Heuser ajoute au poids de la preuve des milliers d’études, la plupart publiées depuis les années 1950, qui démontrent que des effets biologiques « non thermiques » sont associés à l’exposition à de très faibles doses chroniques de CEM. Ces radiations sont émises autant par les câbles et appareils sur lesquels circulent de l’électricité oscillant à d’extrêmement basses fréquences (60 hertz) que par les technologies émettrices de radiofréquences (RF), comme les antennes, les cellulaires et les tablettes. Ces technologies émettent typiquement dans les bandes des mégahertz et des gigahertz, ce qui signifie que l’onde change de polarité des millions ou des milliards de fois par seconde.
Baptisée « maladie des micro-ondes » par les Soviétiques dans les années 1960, l’électrohypersensibilité est reconnue depuis 2000 comme une maladie professionnelle dans les pays nordiques européens tel la Suède. Ceux-ci affirment qu’il s’agit d’un handicap dont les manifestations « disparaissent dans des environnements non électriques ». En 2016, l’Académie européenne pour la médecine environnementale a publié des Lignes directrices pour la prévention, le diagnostic et le traitement des problèmes de santé et maladies liés aux CEM.
Pourtant, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) affirme encore que la plupart des études ont conclu que les nombreux symptômes (neurologiques, dermatologiques, auditifs, cutanés, cardiaques, etc.) dont se plaignent les personnes qui se disent atteintes d'hypersensibilité électromagnétique (HSEM) sont causés par l’exposition aux CEM. En 2005, elle écrivait : « La majorité de ces études indique que les individus se plaignant de HSEM sont incapables de détecter plus précisément une exposition à des CEM que des individus ordinaires. Des études bien contrôlées et menées en double aveugle ont montré que ces symptômes n'étaient pas corrélés avec l'exposition aux CEM. »
Or ces études sont contestées par plusieurs experts indépendants, dont les auteurs de quelques recherches menées à double insu (des chercheurs et sujets) qui concluaient que cette corrélation entre CEM et divers symptômes est bien réelle. Parmi ces études, citons celle de WJ Rea parue en 1991, celle de Magda Havas publiée en 2010 et celle dirigée par DE McCarty qui date de 2011. Comme l'expliquait Magda Havas en 2013 dans une lettre à l'éditeur soumise à La Presse, une personne qui est sensible à un agent n’est pas toujours capable de détecter la présence de cet agent, l'apparition des symptômes d'EHS est souvent retardée et les gens ne répondent pas tous aux mêmes fréquences électromagnétiques.
Un des critiques les plus respectés des études citées par l'OMS est même membre du groupe de travail de l’OMS sur les CEM. Il s'agit du docteur en radiobiologie Igor Belyaev, professeur de génétique toxicologique à l’Université de Stockholm et directeur du laboratoire de radiobiologie de l’Institut de recherche sur le cancer de l’Académie des sciences slovaque, à Bratislava. En 2010, la revue scientifique Bioelectromagnetics lui a décerné ainsi qu’à ses sept coauteurs suédois le prix du meilleur article qu’elle a publié entre 2006 et 2010. Selon lui, pour justifier leur politique de laisser-faire en matière d’électrosmog, les gouvernements et les industries du sans-fil ne citent que les études qui font fi des variables physiques et biologiques qui expliquent pourquoi les faibles doses répétées de radiofréquences peuvent être nocives ou même bénéfiques : fréquence, largeur de bande, modulation, polarisation, dose, durée et cohérence du temps d’exposition et de non-exposition, environnement électromagnétique (dont le courant continu terrestre), densité des cellules, génétique, sexe, âge, différences individuelles et autres particularités physiologiques des sujets, présence de métaux lourds et de puissants antioxydants et de capteurs de radicaux libres, comme la mélatonine et le ginkgo biloba. Ces études « négationnistes » sont d'ailleurs presque toujours financées par l’industrie ou un État voulant légitimer les limites d’exposition actuelles.
Tout récemment, le site fondé par des médecins californiens Physicians for Safe Technology affirmait : « Il existe de nombreuses études examinées par des pairs montrant des rayonnements non ionisants (les ELF provenant des prises électriques et les RF provenant des appareils sans fil) associés au cancer, aux effets sur le système nerveux et aux dommages causés aux spermatozoïdes. En fait, la littérature sur les effets néfastes a commencé à émerger il y a plusieurs dizaines d’années et comprend de solides recherches sur l’exposition professionnelle aux CEM. Des études militaires ont rapporté une « maladie des micro-ondes », alias « électrosensibilité » ou « électrohypersensibilité » (EHS) au rayonnement électromagnétique des micro-ondes dans les années 1970. Depuis lors, davantage de preuves cliniques et de recherches évaluées par des pairs ont confirmé que l’EHS était une véritable maladie. » En conclusion, cet organisme estime qu'en matière d'électrosmog, « il semble que nous soyons au même stade de la science émergente que la reconnaissance précoce des impacts sur la santé associés au tabac, à l'amiante, à la poussière de charbon et au plomb ».
Pour le médecin québécois Barry Breger, spécialiste des maladies environnementales, cette étude « est une nouvelle très excitante, surtout quand on se rend compte que la CNESST, les compagnies d’assurance, les employeurs et la plupart des médecins - ne parlons même pas d'Hydro-Québec - voient cette maladie comme un problème psychiatrique! Malheureusement, pour avoir un RMI au Québec, il faudra une attente de plus d’une année... si l’hôpital le ferait à la demande d’un “simple” médecin généraliste. Sinon, il faudra faire l’examen dans le secteur privé, chose très difficile pour beaucoup de patients qui ne travaillent plus » car ils sont trop malades.
Pour en savoir davantage
Études scientifiques sur l'électrohypersensibilité
Quand le vase déborde : l’intolérance aux ondes