Des conclusions « trumpées » corrigées par des réviseurs indépendants mandatés par Washington

 Les gens qui débutent l'usage courant du cellulaire avant l'âge de 20 ans vont jusqu'à quintupler leur risque de cancer du cerveau, selon une étude de l'oncologue et épidémiologiste suédois Lennart Hardell. L'échauffement de l'oreille et des maux de tête sont des signes avant-coureurs à prendre au sérieux.
Les gens qui débutent l'usage courant du cellulaire avant l'âge de 20 ans vont jusqu'à quintupler leur risque de cancer du cerveau, selon une étude de l'oncologue et épidémiologiste suédois Lennart Hardell. L'échauffement de l'oreille et des maux de tête sont des signes avant-coureurs à prendre au sérieux.

Du jamais vu qui embarrasse l’administration Trump : un comité de révision par des pairs vient de modifier pas moins de sept conclusions tirées par le National Toxicology Program (NTP) américain concernant les résultats de son étude sur des rongeurs exposés aux champs électromagnétiques (CEM) de radiofréquences (RF)/micro-ondes émises par un téléphone cellulaire.

L’étude du NTP fut l’une des plus ambitieuses jamais réalisée à ce jour sur les risques de tumeurs chez des animaux exposés à des RF, ondes classées « peut-être cancérogènes » en 2011 car les gens qui parlent le plus au cellulaire à long terme doublent leur risque de cancer du cerveau (gliome). Commandée en 1999 par la US Food and Drug Administration (FDA), elle a coûté 25 millions de dollars et portait sur 1 568 rats et 1 512 souris. Pendant deux ans, la moitié fut exposée aux ondes neuf heures par jour, par cycles intermittents de dix minutes, tandis que l’autre (le groupe « contrôle ») n’était pas exposée. Les rongeurs exposés étaient soumis à différents débits d’absorption spécifiques (DAS) d’énergie, soit de 1,5, 3 ou 6 watts par kilo. Les signaux étaient de fréquences (900 mégahertz chez les rats et 1 900 mégahertz chez les souris) et de modulations (pulsations) typiques des deuxièmes et troisièmes générations (2G et 3G) de téléphonie cellulaire, utilisées depuis plus de 20 ans. En 2018, l’on commence à déployer la 5G requise par l’Internet des objets et qui pénètre plus profondément dans les tissus vivants.

Des révisions inusitées corroborées par les études antérieures

Tenue du 26 au 28 mars dernier au National Institute for Environmental Health Sciences (NIEHS), en Caroline du Nord, la révision par des pairs indépendants représentait l’étape finale avant la publication de l’étude, prévue pour l’automne. Après trois jours d’audiences, le comité, constitué de onze pathologistes et toxicologues ainsi qu’un statisticien, a conclu qu’il y avait une « preuve claire d’activité cancérigène » du fait que certains rats ont développé une très rare tumeur (schwannome) dans les nerfs entourant leur cœur, alors que le NTP avait seulement conclu à la présence de « quelques preuves ». Pour les tumeurs du cerveau et des glandes surrénales, là où le NTP n’avait vu que « des preuves équivoques », les experts ont conclu à « quelques preuves », le niveau de confirmation le plus convaincant après celui des « preuves claires ». Au total, 5,5 %, ou 30 des 540 rats mâles exposés aux radiations, ont développé un cancer du cœur ou du cerveau (gliome), et 16 autres des cellules précancéreuses, contre aucun des 90 rats contrôles. Et pas moins de 13,5 % des rats les plus exposés ont eu l’un de ces trois effets (les chercheurs prenaient leur température pour s’assurer qu’ils n’étaient pas exposés à des doses thermiques de micro-ondes). « Il est très inhabituel qu’un comité de révision par des pairs recommande autant d’améliorations aux conclusions du NTP », a précisé à Microwave News le chercheur Ron Melnick qui a conçu l’étude avant de prendre sa retraite du programme de la FDA, en 2009.

Les résultats du NTP sont corroborés par trois études antérieures dans le cadre desquelles des rats avaient été exposés à des doses de RF/micro-ondes encore plus faibles. Dans celle réalisée par des chercheurs de l’armée de l’air américaine (Chou et al, 1992), les rats exposés avaient trois fois plus de cancers que les rats contrôles. Et comme quoi ce n’est pas le fruit du hasard, des risques plus élevés de schwannome et de gliome ont aussi été observés dans une nouvelle étude similaire faite par les chercheurs du célèbre Institut Ramazzini, en Italie. Ses rats avaient aussi été exposés à des radiations de plus faible intensité, correspondant ici aux émissions d’antennes cellulaires. « C'est la combinaison d'études qui est importante et toutes ces études ne peuvent pas être erronées, commente la toxicologue ontarienne Magda Havas. Nous avons maintenant trois grandes études de laboratoire bien contrôlées qui montrent que l'exposition aux micro-ondes à des niveaux inférieurs aux lignes directrices existantes cause le cancer chez les rats. »

Des études européennes (Interphone, CERENAT et Hardell) ont démontré qu’après dix ans d’usage du cellulaire, les personnes les plus exposées ont un risque plus élevé de développer les mêmes types de rares tumeurs (gliome et schwanomme/neurinome du nerf auditif) que celles observées chez certains rats du NTP. « Les cellules de Schwann sont similaires aux cellules gliales dans le cerveau en ce qu’elles sont des cellules de soutien spécialisées, dont les fonctions comprennent le maintien de l’homéostasie, la production de myéline ainsi que le soutien et la protection des neurones dans le système nerveux périphérique », écrivait le NTP dans son ébauche finale publiée en février. Impliquées dans plusieurs affections comme la sclérose en plaques et la maladie de Charcot (sclérose latérale amyotrophique), la myéline est cette « substance qui sert à isoler et à protéger les fibres nerveuses électriques, comme le fait le plastique autour des fils électriques », explique Wikipédia.

Les chaînons manquants

Les preuves animales et humaines, le fait que le risque augmente si l’exposition aux RF débute en bas âge et que l’incidence du gliome augmente dans plusieurs pays et en particulier chez les jeunes, « confirme de façon définitive que les radiations de radiofréquences sont un cancérogène humain de catégorie 1 », conclut le Dr Anthony B. Miller, professeur émérite d’épidémiologie à l’Université de Toronto et conseiller de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en la matière.

« L’étude du NTP et les autres études animales sont les chaînons manquants, commente Joel Moskowitz, directeur du Centre de santé familiale et communautaire, à l’École de santé publique de l’Université de la Californie, à Berkeley. Ces études prouvent que l’exposition à long terme à des niveaux de faible intensité non thermique de radiation de micro-ondes peut causer des dommages à l’ADN et le cancer chez les animaux. À ce jour, plusieurs centaines d’études ont trouvé une hausse du stress oxydatif (notamment de protéines de stress, de radicaux libres et de dommages à l’ADN) liée à de faibles radiations de micro-ondes. » Ces dommages ont un impact majeur sur la reproduction et sont transmis aux enfants, soulignait Magda Havas dans son témoignage devant le comité réviseur du NTP. Uniquement de 2011 à 2013, au moins 20 études ont démontré que les ondes d’un cellulaire ou du Wi-Fi ont des effets néfastes sur la reproduction (viabilité, motilité et morphologie des spermatozoïdes), ce qui expliquerait en partie pourquoi le fertilité masculine a chuté de plus de la moitié depuis 40 ans. Selon elle, une recherche dans Google-Scholar des mots « effets des radiations de radiofréquences sur la santé » donne pas moins de 300 000 références! La plupart sont récentes, mais en 1972, le chercheur de la Marine américaine Zorach Glaser signait une bibliographie (disponible sur magdahavas.com) de plus de 2 000 études précisant les effets biologiques des micro-ondes sur tous les organes et systèmes du corps. Et dès 1969, l’étude de Cleary (aussi disponible sur le même site) affirmait que plusieurs chercheurs recommandaient d’utiliser les anormalités cardiaques pour exclure les gens de tâches impliquant les micro-ondes. En 2010, Havas publiait d’ailleurs une étude démontrant qu’un téléphone sans fil peut causer de l’arythmie, de la tachycardie et des effets sur le système sympathique.

Ce professeur en études environnementales à l'Université Trent explique pourquoi elle recommande les téléphones et les connexions internet filaires (câble ou fibre optique) ainsi que les compteurs non communicants. « Un nombre croissant d'étudiants se plaignent de maux de tête, de palpitations cardiaques, de vertiges, de nausées, de difficulté à se concentrer à mesure que de plus en plus d'écoles remplacent les connexions Internet filaires par les routeurs Wi-Fi. Peut-être que les étudiants et leurs enseignants qui se plaignent de palpitations cardiaques devraient faire l'objet d'un dépistage pour des anomalies cardiovasculaires au début de l'année scolaire pour déterminer s'ils peuvent tolérer le rayonnement de micro-ondes généré par les routeurs Wi-Fi et presque toutes les antennes relais de téléphonie cellulaire. Certaines anomalies cardiovasculaires qui passent souvent inaperçues, comme le Syndrome de Parkinson-White, la tachycardie supraventriculaire (SVT) et le syndrome du QT long, peuvent être fatales. »

Le NTP noie le poisson

Dès mai 2016, le NTP avait justifié la divulgation de ses inquiétants résultats préliminaires de son étude sur les rongeurs en expliquant que « même une petite hausse [de 3-4 % par rapport aux contrôles] de l’incidence de maladie pourrait avoir des implications majeures pour la santé publique ». D’autant plus qu’il est difficile de trouver des gens non exposés aujourd’hui, 95 % des adultes possédant un cellulaire.

Selon Martin Pall, professeur émérite de biochimie à l’Université Washington State, l’étude du NTP a sous-estimé les risques car les rongeurs étaient exposés dans des chambres de réverbération. Celles-ci diminuent les forces électriques appliquées, et donc les effets biologiques sur les cellules, en réduisant la polarisation des radiations artificielles et en produisant de l’interférence. « C’est une des approches utilisées par l’industrie pour produire des effets minimes. » 

D’ailleurs, toujours en 2016, le chercheur du NTP Ron Melnick confiait alors à Microwave News : « Le NTP a testé l’hypothèse que les radiations du cellulaire ne pouvaient pas causer des effets sanitaires et cette hypothèse a maintenant été démentie... Le consensus est qu’il y a un effet cancérogène. » Un mois plus tard, son collègue Christopher Portier, ancien directeur associé du NTP, ajoutait : « Selon nous, l’exposition aux RF a causé les tumeurs observées chez les rats mâles dans l’étude du NTP. Les cellulaires causent probablement le cancer si l’exposition est assez proche, assez longue et assez élevée. Nous ne connaissons pas encore le risque pour une exposition donnée chez les humains. »

Les humains encore plus exposés

Pourtant, en dévoilant ses résultats finaux début février, les cadres du NTP et de la FDA, nommés par l’administration Trump, avaient changé leur fusil d’épaule, sans doute pour éviter de déplaire aux industries (électriques, télécommunications et militaires) dont les activités reposent sur les RF. L’usage du cellulaire n’est « pas une situation à haut risque », affirmait le directeur de l’étude, John Bucher, en ajoutant qu’il ne changerait en rien comment ses enfants et lui utilisent le cellulaire. Il a même dit que « les rats avaient reçu des doses de radiations plus élevées que ne le reçoivent les gens qui parlent au cellulaire », ce qu’a démenti et dénoncé comme irresponsable le médecin français Marc Arazi (arazi.fr) dans un commentaire écrit soumis le 12 mars dans le cadre de la révision par des pairs.

Celui qui a déclenché ce qu’il nomme le scandale du Phonegate a alors écrit : « De nouvelles informations du gouvernement français indiquent que les expositions utilisées dans l’étude du NTP, bien que valides, sous-estiment les expositions qui se produisent dans le monde réel par un facteur de deux à dix fois », écrivait-il. « Je dis cela sur la base de tests réalisés entre 2012 et 2016 par l’Agence nationale française de fréquences (ANFR) sur presque 400 des téléphones mobiles les plus populaires en Europe. Son rapport a mis en lumière des informations jusque là inconnues du public, à savoir que neuf téléphones mobiles sur dix testés en 2015 par l’ANFR en contact avec le corps montraient des DAS supérieurs à 2 W/kg et un sur quatre, un DAS supérieur à 4 W/kg. » Certains appareils dépassaient même de 15 fois la limite de DAS permise aux États-Unis, de 1,6 W/kg pour un gramme de tissu exposé pendant six minutes. D'ailleurs, le fournisseur de téléphonie cellulaire français Orange a déjà retiré du marché un téléphone émettant trop d’ondes. Pour sa part, l’ANFR a recommandé le développement de mesures plus réalistes en confirmant que les ondes pénètrent davantage le corps des enfants, si bien que la même dose reçue par ceux-ci sera 40 % plus élevée que chez les adultes.

Le hic, c’est que la seule façon dont les fabricants peuvent respecter les limites de DAS nationales, c’est en faisant accepter des tests irréels : le cellulaire est placé à entre 5 et 25 mm d’un crâne de plastique rempli d’un liquide dont la température ne doit pas monter d’un degré Celsius après six minutes d’exposition. Dans la vraie vie, la plupart des gens collent le cellulaire contre leur crâne, 20 % des adolescents le portent allumé dans leur poche plus de 10 heures consécutives par jour et 12,4 % le placent même sous leur oreiller, rappelle le Dr Arazi en citant une étude australienne.

 © www.arazi.fr
© www.arazi.fr

Évidemment, les rongeurs n’étaient pas exposés à de l’air, de l’eau et de la nourriture polluée comme c’est le cas des humains. Or, seule la combinaison de RF et d’autres stimuli (métaux lourds, solvants, pesticides, virus, etc.) a des effets majeurs, selon le docteur en sciences aérospatiales et mécaniques Ronald N. Kostoff, chercheur associé au Georgia Institute of Technology. Celui-ci ajoute : « Les résultats de l’étude du NTP ne doivent être perçus que comme la pointe de l’iceberg des dommages à la santé potentiels causés par les radiations de RF. Le gouvernement américain exerce une pression tous azimuts pour accélérer la mise en œuvre des tours de petites cellules à haute densité 4G / 5G à travers le pays. Une étude de toute agence fédérale qui fournirait des informations crédibles montrant les dangers potentiels du rayonnement sans fil pourrait faire dérailler tout l'effort. Le gouvernement ne permettrait d'aucune façon que ceci se produise. »

Risques faible, impact humain majeur

La question n’est plus de savoir si mais quand l’OMS appliquera cette recommandation, elle qui avait classé les RF dans la catégorie 2B « peut-être cancérogène » en 2011. D’ici là, de plus en plus de gouvernements risquent d’imiter ceux qui, par exemple de la Californie et de la France, recommandent de limiter l’usage du cellulaire — en particulier par les enfants — et d’utiliser le haut-parleur ou un casque d’écoute afin d’éviter de poser le cellulaire contre la tête.

Si le risque de cancer est faible (il touchait de 1 à 7 % des rats selon les doses), il pourrait avoir un impact majeur considérant que 95 % des adultes et un nombre croissant de jeunes utilisent un cellulaire quotidiennement. Mais le cancer est le moindre des inquiétudes de nombreux chercheurs, souligne le physicien Paul Héroux, professeur de toxicologie des champs électromagnétiques à la Faculté de médecine de l’Université McGill.

Dans le cadre de l’étude du NTP, certains rongeurs avaient donné naissance à des rejetons de taille anormalement petite et certains avec des malformations cardiaques.

« Le déploiement de la 5G doit être stoppée. Les écoles doivent installer des réseaux internet filés. Les communautés devraient maintenir leurs lignes terrestres. Les solutions existent comme les réseaux Éthernet et de fibre optique. Les départements de santé publique doivent lancer des campagnes de sensibilisation du public sur comment réduire l’exposition à la maison et au travail », martèle Theodora Scarato, directrice générale de l’Environmental Health Trust, organisme américain qui est conseillé notamment par Melnick et Miller.

Au terme des trois journées de révision lors desquelles le comité a reçu les commentaires de nombreux experts internationaux, le chercheur du NTP John Bucher concédait : « Il est très rare que le NTP rejette les recommandations de ses comités aviseurs. »

Pour en savoir davantage

“Clear Evidence” of Cell Phone Cancer Risk, Say Leading Pathologists