Le rêve de mes parents s’est réalisé en 1976, soit faire l’achat de leur première maison et habiter la ville de Mont-Saint-Hilaire après avoir habité à Montréal depuis plusieurs années. Jolie maison avec un grand terrain et vue magnifique sur la montagne. Comme nous passions nos étés dans un camping situé dans la même ville depuis mon tout jeune âge, nous étions déjà vendus à l’idée d’y vivre en permanence. La famille était donc prête à faire le grand saut ! Je suis devenue Hilairemontaise à l’âge de 15 ans, jusqu’à mon départ quelques années plus tard pour fonder ma propre petite famille.

En février 2005, mes parents, Léonide et Claudette Pitre, m’informent de leur décision de vendre la maison familiale et d’aller vivre en « habitation pour retraités », non loin de leur maison. Ma mère avait 67 ans et mon père 74. À l’époque, ils étaient encore très actifs, mais en avaient assez des sempiternels entretiens domiciliaires. Je sais pertinemment qu’ils trouvaient cette décision difficile, mais nécessaire. J’ai alors accueilli cette nouvelle à la fois avec inquiétude et tristesse. Le petit hamster qui cogite a alors pris son élan dans ma tête. Seront-ils plus heureux ailleurs?

J’amorce alors des discussions avec mon conjoint et lui expose les questions profondes qui m’appellent. Vivre avec mes parents tous les jours, c’est possible? Vivre avec ses beaux-parents tous les jours, c’est possible aussi? Je me suis toujours bien entendu avec mes parents et l’entente mutuelle entre mon conjoint et eux a toujours été présente aussi, sinon le projet n’aurait jamais pu voir le jour. Je connais leur personnalité et leur façon de voir la vie en général, ça peut donc être possible, me dis-je. Maintenant, sommes-nous prêts à acheter la maison de mon adolescence et la transformer sans connaître la suite ?

 La maison d'origine, avant l'agrandissement.
La maison d'origine, avant l'agrandissement.

Mon conjoint adhère à mon projet : toute cette énergie investie le sera pour le bien-être de notre famille, pour le meilleur et pour le pire - comme un mariage ni plus ni moins ! On sait aussi qu’il y aura des remises en question et des moments de purs bonheurs, mais après toutes ces questions l’amour l’emporte et on se lance. On y croit. On a confiance. Pour mes parents cette nouvelle vie leur apportera la sécurité, l’entraide des générations, la vie partagée pour le bien-être de tous.

C’est donc en 2005 que nous prenons la décision d’acheter la maison et en faire une maison bigénération. Les points de repère quant à ce genre de construction se font rares. Par quoi on commence? Pas le temps de s’y arrêter, on saute.  Mes parents sont aux anges et acceptent de prendre part à l’aventure qui débutera en mai 2005 avec mon amie Suzanne Richard, architecte qui créera de toute pièce cette nouvelle demeure.  Après des heures et des heures de dessins, de discussions, de changements selon les besoins et au gré des décisions de la ville, et Dieu sait qu’il y en a eu.

Après des moments de peurs, de pleurs, de bonnes et mauvaises surprises et aussi de grands moments de joie, cette aventure débute. Les travaux s’amorcent à la fin du mois de mai 2005. Ce sera mon conjoint et un ami qui s’investiront corps et âme à défaire, refaire et créer ce qui sera la nouvelle maison. Ils seront aidés à l’occasion par des membres de la famille. Les travaux dureront 8 mois, 7 jours sur 7 avec un petit 5 jours de vacances. Poussières, bruits, lits improvisés, glacière en guise de frigo, sandwich, hot-dog et autres trucs semblables, les règles du jeu s’installent et on suit la cadence, on regarde en avant et on a confiance.

C’est à la fin du mois d’août 2005 que la première partie, celle de mes parents, sera terminée. Ils pourront alors s’y installer et débuter leur nouvelle vie avec un décor extérieur quelque peu changé, terrain diminué, mais leur petit coin de jardin y est toujours avec la vue sur la montagne, qui n’a pas changée non plus. Ils se sentent encore chez eux et en sécurité. « Nous sommes tellement bien et chanceux », diront mon père et ma mère à leurs amis.

La deuxième partie, la nôtre, prendra sa forme finale à la fin du mois de janvier 2006, les dernières petites finitions complétées. À ce moment, mes filles ont 13 et 2 ans. Elles adorent vivre tout près de mamie et papi, mais le respect des générations est primordial.

Malgré la porte qui nous sépare, la visite d’un côté comme de l’autre devra être annoncée. L’importance de se respecter dans nos vies est essentielle, et ce, de chaque côté de la porte. Il suffira d’un petit « toc-toc-toc » et l’attente du signal pour autoriser une petite visite. Cette politesse de base fonctionnera presque toujours, mais de petits réajustements seront nécessaires de temps à autre. Soyons patients, c’était prévisible!

Un travail d'équipe

Maintenant, après 15 ans en bigénération, où en sommes-nous? Comment cela s’est-il passé depuis?

Nous avons donné carte blanche à mon père pour diverses petites besognes à faire autour de la maison, celles qu’il faisait jadis et qu’il aimait bien. Mais maintenant, tout ça était fait à son rythme, sans se presser, sans obligation, par pur plaisir. De le voir heureux nous faisait prendre conscience que notre décision avait été la bonne.

Plusieurs collègues ou amies m’enviaient beaucoup, surtout quand je leur racontais qu’une de mes filles était malade et que ma mère proposait de laisser la porte ouverte avant notre départ pour le travail, afin de garder l’oeil ouvert sur notre progéniture. De la pure magie qui faisait apparaître un grand sentiment de réconfort!

Les petits services rendus mutuellement sont pratiques et agréables, évidemment. Depuis le décès de mon père, en 2013, à un moment j’ai dû m’occuper de ma mère qui a été malade. Rien de grave, mais j’étais là pour elle. Maintenant âgée de 82 ans, ma mère est une femme en pleine forme et encore très, très active. Elle nous impressionne tous les jours. Ça fait du bien de la voir vivre en santé. Nous sommes privilégiés, c’est clair. Ayant pris ma retraite en juin 2020, je réalise qu’au moment où ma mère aura besoin de moi, je serai là, tout près, de l’autre côté de la porte….

Avec mon expérience, je comprends plus que jamais combien le saut en bigénération est avant tout une affaire de famille, c’est clair. Il faut être conscient que ce sera une vie différente avec certaines responsabilités. Les gens changent, grandissent, vieillissent. La façon de vivre de chaque génération est clairement différente et se transforme année après année. La façon de voir les choses sera différente d’un côté comme de l’autre. Il y aura des hauts et des bas. 

Pour que cela fonctionne, il faut faire équipe, car il est impossible pour les différentes générations de faire abstraction de la vie des autres, qu’une porte les sépare ou non. L’entraide est donc cruciale. Il faut être en mesure d’entretenir une bonne communication afin de pouvoir régler les différends et ainsi conserver l’harmonie. L’ouverture d’esprit et de coeur est importante.  Il ne faut pas oublier que l’autre n’est pas un locataire que nous pouvons évincer à la première embûche, ça demeure la famille!

Je termine en disant que je suis privilégiée d’avoir un conjoint qui s’est investi dans un projet aussi important et d’avoir des parents aussi ouverts et compréhensifs. Et le travail d’équipe est toujours présent…

Et ça continue…. nous avons une belle vie!

 Malgré le grand départ de son amoureux, Claudette Pitre est comblée de voir grandir ses deux enfants, quatre petits-enfants et six 6 arrières-petits-enfants.
Malgré le grand départ de son amoureux, Claudette Pitre est comblée de voir grandir ses deux enfants, quatre petits-enfants et six 6 arrières-petits-enfants.

Témoignage de la grand-maman

Voici nos raisons d’avoir accepté cette aventure de famille. Nous devions quitter notre maison de Mont-Saint-Hilaire, car mon conjoint avait de plus en plus de problèmes de santé et l’entretien de la maison s’avérait ardu pour lui.  Notre idée était d’aller vivre en condo, car nous n’étions pas prêts pour la vie en « résidence ». 

Nous en avons donc discuté lui et moi et en avons déduit que la sécurité et la proximité de la famille seraient l’idéal, la bigénération était donc « la » solution rêvée. De plus il y avait une très belle harmonie entre ma fille Chantal et moi, mes petits enfants seraient tout près et mon gendre était le fils que nous aurions toujours désiré avoir, toutes les raisons étaient là. Après quelques discussions et demandes de conseils auprès de bonnes ressources, la décision était prise, nous allions être très bien.

Depuis ce temps, mon conjoint et moi n’avons jamais eu l’ombre d’un regret, nous étions comblés. Le respect des générations et le dialogue sont présents tous les jours depuis. J’aurais tellement aimé qu’il puisse en profiter plus longtemps, mais la vie prend de différente direction quelques fois.

Et la vie pour moi se poursuit et j’en suis si heureuse.  Le plus grand bonheur est de voir grandir ma famille, mes deux enfants, mes quatre petits-enfants et maintenant mes six arrières-petits-enfants. Je suis choyée des petites visites de chacun, des rencontres de famille, nous sommes « tissés serrés » comme on dit si bien. J’ajouterais que la réussite de ce bonheur a été l’entente mutuelle des deux parties, la discrétion, la confiance et le respect.

Voilà la recette gagnante pour vieillir heureuse et comblée!
- Claudette Pitre