Après avoir rallié un vaste public et beaucoup d'entrepreneurs à l'importance de construire des maisons écologiques, l'organisme Écohabitation élargit ses horizons en voulant désormais verdir nos communautés.
« Au Québec, on a traditionnellement été meilleurs sur le côté climatique que du côté urbanistique où on est souvent les plus rétrogrades qui soit. Ça fait dix ans que l'on essaie de faire les choses différemment », explique le fondateur et directeur de l'organisme fondé au tournant du millénaire, Emmanuel Cosgrove. C'est ainsi qu'après avoir fait connaître le système de certification LEED pour les habitations durables dont il est le principal fournisseur de services au pays, Écohabitation se tourne désormais résolument sur les enjeux plus globaux des collectivités saines et durables. Et il s'y prend de plus en plus en travaillant avec les municipalités et les promoteurs qui créent des quartiers complets.
Nous avons fait le point sur l'état de l'écohabitation au Québec avec Emmanuel Cosgrove en décembre dernier. Selon lui, l'industrie de la construction résidentielle est en pleine mutation. Pendant longtemps, son attitude conservatrice a participé à résister aux changements imposés par les enjeux environnementaux. Pourtant, en 1983, le Québec était à l'avant-garde au pays en matière d'efficacité énergétique, mais depuis notre Code de construction est plutôt à la traine en la matière. De plus, avec le faible coût de notre électricité, encore trop peu de constructeurs ont voulu sensibiliser les consommateurs aux avantages des maisons homologuées par le programme Novoclimat (meilleur confort, qualité, salubrité, durabilité et valeur accrues, économie d'énergie, aide financière, inspection indépendante de l'isolation, de l'étanchéité et de la ventilation).
Mais tranquillement la donne change grâce notamment aux nouvelles orientations de villes avant-gardistes telle Victoriaville dont le programme Habitation durable a été adopté par plusieurs autres municipalités. Crises environnementales (climat, biodiversité, eau, etc.) obligent, les constructeurs n'ont plus le choix de développer de façon plus durable, en commençant par freiner l'étalement urbain, et d'autant plus que l'organisme Garantie Construction Résidentielle (GCR) surveille la qualité des constructions assurées comme jamais dans l'histoire du Québec.
L'Association des professionnels de la construction et de l'habitation du Québec (APCHQ) s'y met notamment a désormais avec son comité de développement durable sur lequel siègent Emmanuel Cosgrove et plusieurs autres experts. L'APCHQ honore aussi chaque année ses leaders en la matière, dont Belvedair et Écohabitations Boréales.
Mais un autre obstacle freine le développement des maisons écologiques à grande échelle : au Québec, l'industrie de la construction est composée majoritairement de petites entreprises familiales qui n'ont pas les capacités administratives nécessaires pour construire de grands ensembles certifiés Novoclimat et LEED®. D'ailleurs parmi ses 27 entreprises accréditées, à part UrbanÉco Construction et Belvedair qui construisent tant de l'habitation unifamiliale que multifamiliale, l'accréditation ÉcoEntrepreneur compte essentiellement des petites entreprises spécialisées en rénovation et construction sur mesure.
Désireux de changer cette situation, Écohabitation collabore donc intensément avec un promoteur d'envergure, le Groupe Trémä issu de l'union des réputés constructeurs Voyer & Tremblay et Groupe Marsan. Trémä testera sous peu le concept de Mode de vie branché: des maisons prêtes pour Net Zéro conçu pendant deux ans par l'équipe d'Emmanuel Cosgrove et soutenu par La Maison du 21e siècle et de nombreux autres partenaires. « Grâce à l’appui de Ressources Naturelles Canada, 35 maisons [dotées de systèmes photovoltaïques produisant de l'électricité à partir du soleil] seront ainsi construites sous peu dans les Jardins du Coteau, un site en développement à Mascouche, écrivait en mai dernier la directrice des communications d'Écohabitation, Lydia Paradis Bolduc. Elles viseront à démontrer comment le couplage Net Zéro / véhicule électrique peut faire économiser. Selon nos calculs, il est attendu qu’une famille de 5 personnes habitant une maison à l’étude dépensera le prix d’un café par jour (environ 3 $) pour l’ensemble de ses besoins énergétiques (maison ET déplacement). Les économies réalisées pourraient ainsi s’élever à plus de 1 500 $... annuellement ! »
Ce projet suscitera certainement beaucoup d'intérêt. Mais pour que ce genre de démonstration ne tombe pas dans l'oubli catalyse un changement de paradigme, davantage d'appuis gouvernementaux seront essentiels. Or à ce chapitre, Emmanuel Cosgrove nous a confié son inquiétude concernant l'organisme Transition Énergétique Québec (TEQ) qui, en vertu du projet de loi 44 (sur la gouvernanc
e efficace de la lutte aux changements climatiques et favorisant l'électricité), sera réintégré au sein du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles. « Depuis l’annonce de l’abolition de TEQ en juin 2019, nous observons un ralentissement dans les projets de mise en œuvre du Plan directeur en transition, innovation et efficacité énergétiques. Même si tous les programmes administrés par TEQ sont conservés, la réintégration des employés de l’agence indépendante semble freiner les nouvelles initiatives. On doit prendre notre mal en patience », commentait-il en décembre.
Si son Plan directeur en transition énergétique est toujours affiché sur le site transitionenergetique.gouv.qc.ca, le budget provincial 2020-2021 déposé le 10 mars, et rendu en bonne partie caduc par les crise de la pandémie de la grippe COVID-19, n'a mentionné l'habitation qu'une seule fois : 150 millions de dollars seront investis pour prolonger le programme Chauffez Vert qui incite les gens à délaisser le chauffage de l'eau et de l'air au mazout au profit de l'électricité, le bois ou la biomasse forestière (granules). La bonne nouvelle, c'est que le gouvernement Legault garde le cap car le site de TEQ affiche toujours l'état d'avancement des 14 mesures prévues pour le secteur des bâtiments résidentiels dans le Plan directeur en transition, innovation et efficacité énergétiques adopté sous le gouvernement Couillard. Par exemple, d'ici 2021-2022, la Régie du bâtiment compte réviser la réglementation sur l'efficacité énergétique des habitations et TEQ doit amorcer la mise en place d'un système de cotation énergétique obligatoire pour les nouvelles constructions et lors de la revente de maisons unifamiliales et améliorer les programmes d'aide financière Rénoclimat et Novoclimat.
Mais Emmanuel Cosgrove n'est guère impressionné par ce Plan. « Au chapitre de l'efficacité énergétique, le plan Couillard n'était pas très ambitieux. On peut atteindre son objectif d'économiser 1 % par année sans aucun effort additionnel. » Il ajoute que le gouvernement compte adopter la nouvelle cote fédérale ÉnerGuide pour les maisons qui exprime la consommation des maisons en gigajoules par année, « ce qui pour le Québec n'a pas de sens. Ce n'est pas une unité qu'on comprend [comme les kilowattheures]. Les économies en argent sont bien plus parlantes pour les consommateurs. Par contre, ce rapport sera nettement plus clair et amélioré. »
La bonne nouvelle, c'est qu'en janvier TEQ lançait un appel d'offre pour bonifier les programmes Chauffez Vert et Rénoclimat. « À partir du 1er avril 2020, certaines mesures financées par Rénoclimat seront aussi admissibles au programme Chauffez vert, avec un processus de participation simple et rapide, ce qui devrait avoir pour effet de diminuer de manière marquée la participation à Rénoclimat au profit de Chauffez vert. Par ailleurs, Rénoclimat offrira, toujours à compter du 1er avril 2020, un volet avec davantage d’accompagnement. » C'est la clé pour rendre un grand nombre de maisons écoénergétiques, souligne Emmanuel Cosgrove.
« On a beau identifier un objectif de réduction de la consommation énergétique pour sept ou huit travaux de rénovation recommandés, les gens ne savent pas combien ça coûte et quoi faire. Ils comprennent si vous leur dites d'ajouter tant de pouces de laine isolante dans l'entretoit. Tout le monde pense qu'ils doivent changer leurs fenêtres en premier. En fait, c'est la dernière chose à faire pour optimiser la PRI [période de rendement de l'investissement]. L'étanchéité est la mesure la plus rentable, mais ça demeure un concept assez abstrait, il faut savoir comment le faire. L'arrivée d'entreprises spécialisées en scellement, ça ouvre un nouveau chapitre prometteur. »
Emmanuel Cosgrove se dit par ailleurs très inquiet du problème croissant de la pointe de la demande d'électricité qu'Hydro n'arrive pas à satisfaire environ 100 heures par hiver. La société d'État est alors obligée de produire ou importer à fort prix de l'électricité de source thermique (gaz, mazout, diésel) contribuant aux changements climatiques. « L'électricité devient subitement très sale. Qui mesure l'ampleur des émissions des GES occasionnées? Hydro ne veut pas répondre à nos questions et avec la loi 34 [adoptée sous bâillon en décembre 2019 et visant à simplifier l'établissement des tarifs d'électricité] il faudra attendre quatre ans avant de pouvoir les poser devant la Régie de l'énergie. Le gel du tarif domestique cette année puis des hausses d'environ 2 % selon l'inflation, c'est du greenwashing. » Depuis quatre ans, la Régie fixait toujours les hausses de tarif sous l'inflation, soit entre 0,3 et 0,9 % par année.
« On monitore chaque appartement et le comportement des gens et on voit que dans les bâtiments performants, les pointes de la demande d'énergie surviennent 48 heures après les grands froids, pas trois heures après! Une structure de béton bien isolée et orientée face au soleil, c'est massif et ça stocke l'énergie. Hydro est plus intéressé par des batteries ou le stockage thermique au sous-sol, mais dans le fond on n'a pas besoin de technologies comme les sels à changement de phase pour déplacer la pointe. Les lecteurs de La Maison du 21e siècle sont plus conscientisés et la tarification dynamique est un excellent moyen d'économiser de l'argent en faisant ce qui compte le plus en réduction d'émissions de gaz à effet de serre par des mesures simples. »
Par ailleurs, Emmanuel Cosgrove croit qu'Hydro va « probablement » imposer des tarifs différenciés dans le temps pour réduire la pointe. « Les augmentations de tarifs vont jouer en faveur de l'efficacité énergétique parce qu'elles seront beaucoup plus élevées qu'avant. À environ 100 $ par année de plus sur le compte d'électricité, ce sera beaucoup plus que la remise de 60 $ » associée aux tarifs dynamique. En 217, Hydro n'envisageait pas cette option, rappelle l'Union des Consommateurs : « Les résultats du Projet pilote Heure Juste réalisé entre 2008 et 2010 avaient d’ailleurs confirmé l’absence d’intérêt pour ce genre de tarification tant pour l’effacement de la demande que pour les gains sur la facture, considérant que des participants — des gens très motivés pourtant — avaient même vu leur facture d’électricité augmenter jusqu’à 60 $ par année. »
Avant même la crise de la grippe COVID-19, Cosgrove s'attendait en décembre à un ralentissement du marché de la construction au profit de l'accessibilité au logement social durable.
« Depuis un an, la Société canadienne d'hypothèques et de logement bénéficie de sommes astronomiques dans le cadre de sa Stratégie nationale sur le logement, un plan de 55 milliards $ sur dix ans. La construction va tellement bien que les travaux coûtent vraiment cher en ce moment. Les gens qui ont des projets de logement communautaire ne doivent pas être impatients. Si on attend un an, la construction est supposée ralentir de 3 % en 2020, ça va se ressentir sur les prix parce que la plupart des coffreurs sont occupés sur les grands chantiers comme le REM et les hôpitaux. »
Il affirme que cette Stratégie est une bonne nouvelle pour le logement social durable, tant en construction qu'en rénovation. « Il y a des centaines de projets en attente d'un feu vert. Ils doivent être 25 % plus efficaces en énergie qu'avant et il faut le démontrer. On ne fournit pas parce qu'il faut faire des études et analyses et nos experts LEED® doivent faire des inspections sur l'état des lieux des logements existants. (L'un d'eux) était un peu intimidé d'inspecter son premier complexe de 180 logements! »
En fait, les experts d'Écohabitation sont si occupés avec leurs mandats d'écoquartiers et de multilogements qu'ils n'arrivent plus à répondre à la demande de particuliers qui veulent les consulter pour leur projet de construction ou rénovation de maison. « Ça me donne mal au cœur, malheureusement on ne peut plus les aider en dehors de LEED® et des Premières Nations. C'est plate d'avoir des particuliers qui veulent bien faire en optant pour des enveloppes passives et des systèmes mécaniques minimalistes. On les accompagnait dans 20 à 30 projets modèles par année et on peut seulement leur dire ''venez à nos formations''. »
Parlant de formations, Écohabitation a refait sa formation d'écocourtiers au grand complet et l'offre désormais en ligne. « C'est beaucoup plus facile et on en a déjà 70 ou 80 qui sont certifiés ». Quant à sa formation pour ÉcoEntrepreneurs, il souhaite qu'elle soit offerte prochainement à travers le Québec. Il est d'ailleurs très fier de sa première trentaine d'ÉcoEntrepreneurs accrédités, tels que ceux-ci qui sont moins connus de nos lecteurs :
- Les Ateliers Trait Carré, de Kingsey Falls: « Ils sont forts dans le berceau du développement durable, étant entourés d'une clientèle appuyée par les appuis financiers municipaux » du programme Victoriaville Habitation durable.
- Les Maisons Roco - Viceroy, de Mont-Tremblant : « Ils sont solides dans la maison LEED® sur mesure. »
- Terra Verde, de Gatineau : Charles Benoît est un ami de mes parents. En plus d’être entrepreneur général résidentiel, il est également inspecteur LEED® pour l’Outaouais. »
Pour plus de détails : ecohabitation.com