L'environnement se détériore à un tel rythme que certains chercheurs annoncent même la fin possible de l'humanité. Devant ce scénario apocalyptique, de plus en plus de gens refusent de baisser les bras et choisissent plutôt l'engagement. Inspirés du film Demain, le documentaire maintes fois primé des Français Cyril Dion et Mélanie Laurent, les auteurs de ce livre tous rattachés à la Fondation David Suzuki, sont allés à la rencontre de ceux et celles qui préparent le Québec de demain. De Montréal à Mingan, de Trois-Rivières à Trois-Pistoles, des Québécois contribuent à créer un monde plus juste, plus vert et plus démocratique. Ils œuvrent dans tous les domaines, que ce soit dans les transports, l'énergie, les déchets, le bâtiment, l'agriculture et l'alimentation, la finance et le développement des régions ou l'innovation sociale. Leurs projets peuvent inspirer le monde entier. Tous portent en eux un élan de transformation et un potentiel de contagion qui transcendent leur environnement immédiat. Ce livre présente un échantillon des nombreuses initiatives de transformation écologique, technologique et sociale qui sont en cours au Québec. C'est un pied de nez à l'impossible, une déclaration de guerre à la fatalité et au conformiste.
L'environnement se détériore à un tel rythme que certains chercheurs annoncent même la fin possible de l'humanité. Devant ce scénario apocalyptique, de plus en plus de gens refusent de baisser les bras et choisissent plutôt l'engagement. Inspirés du film Demain, le documentaire maintes fois primé des Français Cyril Dion et Mélanie Laurent, les auteurs de ce livre tous rattachés à la Fondation David Suzuki, sont allés à la rencontre de ceux et celles qui préparent le Québec de demain. De Montréal à Mingan, de Trois-Rivières à Trois-Pistoles, des Québécois contribuent à créer un monde plus juste, plus vert et plus démocratique. Ils œuvrent dans tous les domaines, que ce soit dans les transports, l'énergie, les déchets, le bâtiment, l'agriculture et l'alimentation, la finance et le développement des régions ou l'innovation sociale. Leurs projets peuvent inspirer le monde entier. Tous portent en eux un élan de transformation et un potentiel de contagion qui transcendent leur environnement immédiat. Ce livre présente un échantillon des nombreuses initiatives de transformation écologique, technologique et sociale qui sont en cours au Québec. C'est un pied de nez à l'impossible, une déclaration de guerre à la fatalité et au conformiste.

Chapitre tiré du livre le plus motivant de l'année, Demain le Québec - Des initiatives inspirantes pour un monde plus vert et plus juste, de Diego Creimer, Louise Hénault-Éthier, Karel Mayrand et Julie Roy, de la Fondation Davis-Suzuki, qui se sont inspirés du film culte Demain. Merci aux Éditions La Presse.
AF

À la fin du film Le casse du siècle (The Big Short, 2015) relatant les pratiques financières ayant mené à l’effondrement du système financier mondial, un courtier éprouvant des remords éthiques se désole : « J’ai l’impression que, dans quelques années, les gens vont faire ce qu’ils font toujours lorsque l’économie s’écroule : ils vont blâmer les immigrants et les pauvres. » Le film raconte comment les acteurs de la finance ont spéculé et engrangé des profits faramineux avant de se faire renflouer par les contribuables, tout cela après avoir poussé l’économie mondiale au bord du précipice. Dix ans plus tard, un milliardaire de New York qui a fait fortune dans l’immobilier est président des États-Unis, les marchés financiers atteignent de nouveaux sommets tandis que les écarts de richesse se creusent et que les frontières se referment.
« La problématique numéro un de notre époque, ce n’est pas les politiciens, le capitalisme ou autre chose. C’est l’économie financière qui vaut maintenant 90 fois l’économie réelle et qui ne crée aucune valeur. Ça n’a aucun maudit bon sens ! Les marchés financiers sont devenus le dieu unique et le dogme qui l’accompagne soutient essentiellement ses intérêts. La finance a pris en otage l’économie réelle, la démocratie et la souveraineté des États, qui n’ont même plus la possibilité de faire des vrais choix. Regardez la Grèce : c’est absurde que des banquiers dictent à des élus du peuple où couper pour pouvoir se faire rembourser leurs intérêts. C’est tragique lorsqu’on comprend que cela crée des centaines de milliers de drames humains. » L’homme qui parle est le Québécois qui a décidé de se lancer à l’assaut du système financier mondial. Rien de moins. Il a le verbe facile, le regard perçant. Comment un arrière-petit-cousin de Louis Riel, acteur, musicien et chanteur est-il devenu le banquier le plus révolutionnaire au Canada ?
Rencontrez Paul Allard, PDG d’Impak Finance, la première banque d’impact au pays. Paul Allard est né au Manitoba, fils d’une mère chanteuse d’opéra et d’un père mathématicien qui ont choisi de s’établir à Montréal pour que leurs enfants soient éduqués en français. Il fait une formation de violoncelliste au conservatoire, une autre en génie civil et développe rapidement un profil d’entrepreneur. À 17 ans, étudiant au Séminaire de Québec, il produit une opérette avec 35 acteurs et 15 musiciens intitulée L’auberge du cheval blanc. L’année suivante, il enchaîne les productions au Palais Montcalm et à l’Université Laval. Plus tard, il joue Le Bourgeois gentilhomme 90 fois au Théâtre du Trident et dans la comédie musicale Gala de Jean-Pierre Ferland, se produit chez Duceppe, au Théâtre du Nouveau Monde, puis se fait producteur de disques, de cinéma et de télévision.

Cette fulgurante carrière artistique l’amène à jouer dans la comédie musicale Les Misérables dans laquelle il interprète Enjolras, un révolutionnaire charismatique qui monte aux barricades pour défendre les idéaux républicains de liberté, égalité et fraternité. Un rôle prophétique pour celui qui veut aujourd’hui révolutionner et démocratiser le système financier. Au tournant des années 1990, la production est un énorme succès avec 800 représentations en Amérique du Nord. La tournée se termine le 27 décembre 1990 à Regina. Paul a 29 ans, il vient de passer trois années sur la route et est nouveau père d’une petite fille naissante. Il prend la décision de rentrer définitivement à la maison et entreprend un MBA en finance à l’École des hautes études commerciales de Montréal. En 1996, Paul fonde sa première boîte dans les technologies de l’information, ZAQ solutions interactives, qui vise à développer une plateforme reliant le téléphone et la télévision via Internet. La petite boîte devient rapidement l’une des vedettes du milieu des technos montréalaises. La compagnie entre en bourse en 2000, tout juste avant l’effondrement des technos. Il la revend en 2003 et poursuit sur sa lancée d’entrepreneur en mettant sur pied sept entreprises, toutes des startups dans les nouvelles technologies de l’information, et lève pour elles un financement totalisant 35 millions.

Désillusion

Très vite, il est confronté aux pratiques des marchés financiers : « J’ai appris ce qu’était la finance. Pas dans les livres, mais dans les tranchées avec les requins de la finance qui pratiquent le shorting, le pump and dump et toutes ces stratégies spéculatives. C’est là que j’ai appris ce qu’était l’économie financière et l’économie réelle, et leur interaction. » Il saisit rapidement la différence entre les entrepreneurs et les financier : « Les entrepreneurs courent un risque avec un objectif et une mission pour transformer quelque chose. C’est d’une importance et d’une puissance capitales pour changer le monde. Pour un entrepreneur, l’argent est un moyen, mais pour les financiers, l’argent est une fin en soi. »
Puis arrive l’épiphanie : « En 2000, ma compagnie valait un demi-milliard. J’ai rencontré un trader dans le secteur agricole qui avait fait 119 millions de profit en spéculant sur le marché du blé d’Europe de l’Est. » Paul s’indigne du fait que la transaction n’avait créé aucune valeur dans l’économie réelle, mais avait envoyé une onde de choc qui avait mis des centaines de milliers de fermiers d’Europe de l’Est sur la paille. Cette rencontre déclenche une remise en question qui le pousse à s’intéresser aux processus de création monétaire et au rôle des banques à charte qui reçoivent les dépôts et accordent des prêts, des banques d’affaires qui développent des montages financiers pour les entreprises, et des compagnies d’assurance. Ces trois types d’institutions constituent, avec les agences de crédit, le coeur du système bancaire. Quelques années plus tard, à 48 ans, il sent qu’il a fait le tour du jardin et décide de prendre une année sabbatique pour trouver un nouveau projet, une nouvelle mission pour mettre ses talents et ses valeurs à profit. C’est un nouveau départ, 20 ans après avoir quitté le théâtre.
Il s’envole pour la Grèce où il tombe par hasard sur un document qui présente la banque Triodos, une banque néerlandaise, la seule au monde à n’avoir rien perdu dans le krach financier de 2008. Il est fasciné. Il se demande pourquoi et trouve rapidement la réponse, d’une surprenante simplicité : c’est parce que 100 % des liquidités de la Triodos sont déployées dans l’économie réelle, c’est-à-dire dans des entreprises qui produisent des biens et des services et qui emploient des travailleurs. Comme les fonds de la banque ne sont pas investis dans la finance internationale et la spéculation, ils sont pratiquement isolés des soubresauts des marchés financiers.
Mieux encore, toutes les entreprises financées par la Triodos doivent adhérer au triple bottom line : people, profit, planet, c’est-à-dire qu’elles doivent non seulement faire un profit, mais le faire en ayant des pratiques qui génèrent une plus-value pour les travailleurs et l’environnement. C’est ce qu’on appelle l’investissement d’impact. La banque détient des actifs qui dépassent les 12 milliards d’euros et ses rendements sont de l’ordre de 4 % ou 5 % annuellement, chose impensable dans un monde qui carbure depuis 30 ans à des rendements qui dépassent souvent les 10 %. Mais, en y regardant de plus près, est-il raisonnable que les marchés financiers génèrent des rendements de cet ordre lorsque l’économie croît de moins de 3 %, parfois moins de 2 % annuellement, et les salaires d’encore moins ? Pour générer de tels rendements, les marchés financiers doivent maximiser les profits à court terme au prix de mises à pied massives, de fusions, d’acquisitions et de délocalisations. C’est l’écosystème économique de communautés et de pays entiers qui se voit remplacé par une économie de grands conglomérats anonymes et insensibles, contrôlés par des gestionnaires de fonds qui doivent générer des rendements chaque trimestre. Dans ce système, les mesures de protection de l’environnement sont mises de côté pour maximiser les profits.
Pour Paul Allard, « la finance actuelle s’oppose à l’économie d’impact. Le capital va dans l’économie financière et dans les grandes entreprises multinationales. Tout le système encourage la destruction des actifs sociaux et environnementaux. L’argent est le sang du capitalisme. Le système bancaire en est le coeur. Si tu refondes le système et que tu inscris le triple bottom line dans son ADN, tu vas faire croître les bons organes dans ton économie ».
C’est ainsi que naît Impak Finance en 2016, la première banque d’impact au Canada. « Ce qui m’intéresse, c’est l’ingénierie d’une structure qui s’auto-entretient. Actuellement, l’économie financière entretient le dogme de la maximisation du profit sans égard aux gens et à la planète. Impak Finance peut changer ça », dit Paul Allard. La mission de la banque est simple : attirer le maximum de capitaux de l’économie traditionnelle pour l’injecter dans l’économie d’impact. La beauté du modèle : l’ensemble de l’économie peut être transformé en économie à impact. Tout dépend des pratiques des entreprises, et celles-ci peuvent être conditionnées par les normes des banques qui les financent. Impak Finance veut utiliser le levier du financement pour transformer l’économie.
Impak Finance a une gouvernance entièrement axée sur l’investissement d’impact. Tous les actionnaires de la banque ont un seul droit de vote, peu importe la valeur de leurs investissements, que ce soit 100 $ ou un million. Mieux encore, les actionnaires cèdent leur droit de vote à la Fondation Impak, qui sera dirigée par des personnes issues des milieux économiques, sociaux et environnementaux et qui détermineront les orientations de la banque. Les prêts aux entreprises seront faits à des taux de 3 % ou 4 % pour assurer la rentabilité de l’institution.
Pour son démarrage, Impak Finance a fait appel au public à l’automne 2016 et lancé une campagne de sociofinancement, une manière de mesurer l’intérêt du public et de démontrer du même coup l’existence d’un marché pour ce nouveau type d’institution financière. Succès instantané : la nouvelle banque a battu le record canadien de sociofinancement en récoltant un demi-million de dollars en 24 heures. La banque compte maintenant 1 350 petits actionnaires qui ont collectivement investi un million dans le projet. Une deuxième ronde de financement est à venir pour récolter quatre à six millions.
Mais l’ambition d’Impak Finance ne s’arrête pas là. La banque veut innover en donnant une voix au citoyen, à l’épargnant, pour qu’il choisisse précisément comment son argent va être réinvesti pour avoir de l’impact. Les banques ont un effet de levier important dans l’économie. Mille dollars d’épargne génèrent 10 000 dollars d’investissement puisque les banques ne conservent qu’une partie de l’épargne déposée dans leurs coffres, le reste étant réinvesti sous forme de prêts, à leur tour déposés dans la banque, puis réinvestis. Cet effet de levier est un pouvoir formidable dans les mains des banques. « C’est un pouvoir encore plus puissant que le droit de vote. Impak veut le redonner au citoyen. On veut être l’institution financière qui va créer un écosystème financier et social dévoué à promouvoir l’économie d’impact, et entièrement contrôlé par les citoyens-épargnants. »

Mission écocollaborative

La banque veut servir d’entremetteur entre les capitaux, les entrepreneurs et les citoyens. « De plus en plus de gens veulent mettre de l’argent dans l’économie d’impact mais ne trouvent pas d’entreprises. Nous, on est le Airbnb de la banque. Notre plateforme met en contact l’entreprise d’impact, le citoyen-épargnant-consommateur et celui qui détient des capitaux pour construire un écosystème collaboratif transparent. » La banque a l’intention de créer un fonds mutuel qui comprendra 500 entreprises à impact canadiennes. Le grand public pourra y accéder à travers une application qui permettra de découvrir l’économie d’impact et dont l’interface permettra aux citoyens d’interagir et de soutenir directement ces entreprises.
Pour qu’une entreprise puisse se qualifier pour recevoir le financement d’Impak Finance, elle devra démontrer qu’elle se conforme aux critères d’impact de la banque. Impak fera l’analyse du risque financier et l’analyse d’impact, et offrira ensuite aux citoyens de diriger leur épargne vers ces entreprises. Ce sont les épargnants, et non les banquiers, qui détermineront là où la banque investira. Impak permettra aussi au public de « voter » en évaluant les entreprises, comme c’est le cas dans la plupart des initiatives d’économie collaborative. Ce vote sera pris en considération dans l’évaluation d’impact et l’analyse financière. La communauté épargnante contribuera donc directement à évaluer les entreprises financées par la banque, le tout en temps réel dans une application sur téléphone intelligent. Par exemple, si des membres de la communauté vont dans un commerce qui se dit zéro déchet mais qui ne l’est pas vraiment, ce commerce ne recevra aucune étoile. Son score diminuera et, donc, sa valeur aussi pour les investisseurs. Cette forme collaborative n’existe nulle part ailleurs dans le monde financier.
Pour aller encore plus loin et renforcer son modèle d’écosystème financier axé sur l’impact, Impak Finance a lancé au printemps 2017 l’Impak Coin (MPK), la première cryptomonnaie mondiale entièrement vouée à l’économie d’impact. Cette monnaie alternative est calquée sur les monnaies locales qui sont apparues à travers le monde depuis une décennie. Cette monnaie virtuelle soutiendra l’écosystème d’entreprises d’impact à travers le monde. Aux dires de Paul Allard, « cette monnaie est la colle du système » puisqu’elle permet de fidéliser clients et entreprises dans un écosystème économique commun.
Impak Finance fournira à ses membres un portefeuille virtuel où seront versés des MPK en ristournes sur chaque transaction réalisée dans l’économie d’impact. La monnaie pourra être convertie en monnaies traditionnelles moyennant des frais d’échange, mais les participants qui convertiront leurs MPK perdront les avantages et rabais liés à l’utilisation de la monnaie. La banque centrale qui contrôlera la masse monétaire et les échanges de cette monnaie est la Fondation Impak, la même qui dirige la banque et dont le conseil d’administration est composé de tiers indépendants dont l’expertise et les valeurs sont conformes aux objectifs de la banque. La masse monétaire ne se fera pas par la création de dettes comme dans les banques traditionnelles, mais par des transactions dans l’économie réelle sur lesquelles des ristournes seront versées.
Impak Finance propose une révolution qui veut briser la dictature des marchés sur notre économie, notre société et notre démocratie. Pour y arriver, Impak met à profit trois grandes tendances qui ont commencé à transformer notre monde : les technologies financières, les nouvelles pratiques d’économie collaborative et l’économie d’impact. Il est encore trop tôt pour prédire si ce banquier révolutionnaire réussira son pari, mais il est déjà acquis que comme Enjolras, ce révolutionnaire des Misérables qu’il a incarné au théâtre, il ne sera pas seul à monter aux barricades.