Site de dépôt volontaire de matières organiques. © Ville de Longueuil
Site de dépôt volontaire de matières organiques. © Ville de Longueuil

Des villes, citoyens et entreprises prennent les devants et nous inspirent à en faire davantage alors que nos sites d'enfouissement débordent et leurs coûts s'alourdissent. 

Ôtez ces ordures que je ne saurais voir. C’est ainsi que les éboueurs collectent et portent nos déchets dans un site d’enfouissement où elles vont s’accumuler, loin de chez nous, loin de nos yeux. Sinon, chacun de nous verrait son tas d’ordures personnelles atteindre annuellement 268 kilos! Inévitablement, nous chercherions à le réduire. Dans les faits, c’est à la municipalité qu’incombe la tâche de réduire le gros tas d’ordures du site d’enfouissement. Certaines y parviennent mieux que d’autres, mais la participation des résidents est essentielle.

Ces 268 kilos, c’est la quantité d’ordures ménagères générée en moyenne par habitant annuellement dans l’ensemble des municipalités du Québec en 2016, d’après un bilan du ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MDDELCC). Or les municipalités payent des redevances pour envoyer ces ordures à l’enfouissement et inversement, le MDDELCC leur redistribue ces redevances en fonction des matières qu’elles détournent de l’enfouissement. Elles ont donc doublement intérêt à réduire la production d’ordures ménagères et elles ont trois pistes d’action pour y parvenir : valoriser les matières organiques, récupérer celles qui se recyclent et écouler les surplus dans les écocentres. Si les bacs bleus ou verts des matières recyclables font désormais partie du paysage, les bacs bruns des matières organiques sont récents, souvent absents.

Pourtant le tri-compostage a débuté dans Lanaudière, plus précisément dans la MRC de la Matawini qui regroupe Rawdon, Chertsey et Saint-Donat, en... 1989! De plus, la Politique québécoise de gestion des matières résiduelles prévoit interdire les matières organiques des sites d’enfouissement dès l’an prochain. Conséquemment, « toutes les municipalités sont en train de mettre en place la collecte des matières organiques », observe Gerardo Barrios, chargé de projet auprès de l’organisme Nature-Action Québec, en Montérégie. Appelé à conseiller les villes dans leur gestion des matières résiduelles, il insiste sur la communication auprès des citoyens, car ce sont eux qui poseront le geste. « La communication, ce n’est pas juste un dépliant envoyé par la poste, rappelle-t-il, c’est aussi une patrouille de sensibilisation qui parle aux citoyens, qui leur explique comment et quelle matière sera collectée et où elle va ». C’est vrai pour toutes les municipalités – petites et grandes.

 © st-adrien.com
© st-adrien.com

Dans un petit village en Estrie

Commençons avec l’exemple de Saint-Adrien, un tout petit village de 510 habitants, en Estrie. Il y avait non loin, à Asbestos, le projet Estrie Enviropôle, un centre de traitement des déchets incluant une coûteuse usine de biométhanisation. L’ampleur du projet, qui devait accueillir 600 000 tonnes de déchets par année, a suscité l’inquiétude des citoyens. Parmi eux, Sylvie Berthaud suggérait qu’en évitant le transport des matières, le compostage à domicile est une meilleure solution. Estrie Enviropôle n’a pas vu le jour et la municipalité de Saint-Adrien a alors contacté Mme Berthaud pour implanter le compostage domestique. Le projet a débuté au printemps 2013 par l’envoi postal d’informations suivi de visites porte-à-porte. « Une approche personnalisée dans chaque maison permet de cerner les inquiétudes et les réticences », assure Sylvie Berthaud, qui a elle-même rencontré les citoyens.

Pour encourager leur participation, la municipalité offrait une réduction de 25 $ sur le compte de taxes en 2013 et imposé une surtaxe de 100 $ aux gens qui ne compostaient toujours pas la quatrième année. Le résultat est éloquent. Les adeptes du compostage sont passés de 46 % en 2013 à 90 % en 2017 et les ordures ménagères par habitant ont diminué de 396 kg en 2012 à 232 kg en 2016. C’est ainsi que le petit village a détourné 82 tonnes d’ordures de l’enfouissement en un an. Pour la municipalité, entre les redevances à l’enfouissement et les économies sur le transport et de traitement des matières organiques, c’est un gain de 9 000 $ par an. « Pour un village de 510 habitants, c’est énorme », clame Sylvie Berthaud.

Dans une grande ville près de Montréal

Poursuivons avec Longueuil, qui a bénéficié des conseils de Nature-Action Québec. Procédant par étapes, la Ville a initié la première phase d’un projet pilote en 2017, ciblant 3 000 adresses dans trois secteurs de la ville. Communiqué de presse, envois postaux, porte-à-porte, distribution d’une trousse d’information, fêtes de quartier avec kiosques d’information, les citoyens concernés savaient à quoi s’attendre quand la collecte des matières organiques (par camion) a commencé à l’automne 2017. Parallèlement, la Ville a installé deux sites d’apport volontaire pour offrir une solution aux résidents non desservis par la collecte mais souhaitant participer au compostage. Résultat, 82 % des résidents des trois secteurs ciblés ont participé au compostage et la Ville a collecté 4,5 tonnes de matière organique par semaine! « Logiquement, ce sont des vases communicants, donc ces matières organiques ont été déviées des sites d’enfouissement », estime Véronika Kachanova, analyste en environnement, matières résiduelles et réglementation à la Direction des travaux publics de la Ville de Longueuil.

Quant aux sites d’apport volontaire, « ça a été un succès. À l’un des sites, il y avait deux bacs de 240 litres et on est passé à 12 bacs! », se réjouit Mme Kachanova. La Ville a donc mis en place la phase 2 à l’automne 2018, portant à 13 000 le nombre de portes desservies, soit 13 % des résidences de la ville. D’autres sites d’apport volontaire ont été ajoutés à travers la ville et l’objectif est d’étendre la collecte à l’ensemble du territoire en 2022.

En plus du compostage, la Ville de Longueuil a bonifié le service aux trois écocentres avec 12 visites gratuites par année. Les citoyens en ont visiblement profité puisque les visites sont passées de 10 000 en 2013 à 12 000 en 2017.

À défaut d’écocentre

Longueuil a visé juste en améliorant l’accès de ses écocentres car en accueillant, entre autres, les résidus dangereux, les résidus de construction, rénovation et démolition (CRD) ainsi que les déchets électroniques, ils évitent que ceux-ci n’atterrissent à l’enfouissement. Encore faut-il que les citoyens se rendent à l’écocentre. En cela, des patrouilles qui circulent dans les quartiers et analysent le contenu des bacs d’ordures ménagères ou de recyclage peuvent renseigner la Ville. « Si dans un secteur de la ville, on trouve régulièrement de la peinture, c’est peut-être parce que l’écocentre est trop loin, ou que la personne ignore qu’elle peut envoyer la peinture à l’écocentre, ou encore qu’il n’y a pas d’écocentre », décrit Gerardo Barrios de Nature-Action. La patrouille pourra informer les résidents de la réception de la peinture à l’écocentre ou la Ville pourra réfléchir à offrir une alternative à l’écocentre comme un site d’apport volontaire ou une collecte itinérante. C’est d’ailleurs ce que font parfois les municipalités trop petites pour avoir un écocentre. Gerardo Barrios donne l’exemple de McMasterville qui offre à ces résidents de venir déposer leurs résidus de CRD au garage municipal quatre fois par an.

Sherbrooke en tête

Saint-Adrien et Longueuil ont respectivement envoyé à l’enfouissement 232 kg et 305 kg de déchets par habitant en 2016. Or dans le bilan du MDDELCC, on trouve une multitude de villes et villages en dessous de 200 kg. Parmi elles, Sherbrooke qui avec ses 173 kg se positionne en tête des 10 plus grandes villes du Québec. Pour y parvenir, elle a agi sur les trois leviers que sont le recyclage, les écocentres et le compostage. En matière de recyclage, la Ville a adopté des bacs de 360 litres et obligé tous les logements et immeubles multilogements à mettre à disposition des occupants des bacs ou des conteneurs. La Ville a implanté deux écocentres qui reçoivent 6000 visites annuelles et sont accessibles aux citoyens sans limitation. C’est toutefois pour les matières organiques que Sherbrooke se démarque avec un projet pilote amorcé dès 2003. Sensibilisation et patrouilles ont été garantes du succès.

« Quelqu’un passait les jours de collecte pour vérifier les bacs et laisser une note s’il y avait un problème. Une lettre était envoyée régulièrement pour donner de l’information sur le déroulement du projet de sorte que quand il a pris fin, les gens n’ont pas voulu qu’il s’arrête », commente Patrice Charbonneau, chargé de projet en environnement à la Ville de Sherbrooke. Non seulement le projet s’est poursuivi mais la collecte a été étendue à la grandeur de la ville en 2008! Résultat, « on s’est aperçu que grâce à la collecte des matières organiques, on pouvait espacer de trois semaines la collecte des ordures ménagères en été et de quatre semaines en hiver », poursuit Patrice Charbonneau. Pour aller plus loin, la Ville de Sherbrooke veut maintenant améliorer la collecte des matières résiduelles des secteurs institutionnel, commercial et industriel. Elle pourrait bien là aussi prendre la tête.

Le chemin chaotique des résidus de CRD

Les trois quarts des Québécois portent leurs résidus de construction, rénovation et démolition (CRD) recyclables à un écocentre ou à un site de dépôt autorisé, selon le Bilan 2015 de la gestion des matières résiduelles de RECYC-QUÉBEC. Leur peine n’est pas perdue puisque 70 % des matières seront acheminées directement à un recycleur, 24 % iront dans un centre de tri et 5 % finiront en valorisation énergétique. Si faisant des travaux de rénovation, vous portez vos résidus à un écocentre, il y a donc de bonnes chances qu’ils fassent leur chemin. Mais quel chemin?

 Panneaux isolants en fibre de bois Sonoclimat ECO4, de MSL.
Panneaux isolants en fibre de bois Sonoclimat ECO4, de MSL.

Les résidus de CRD les plus faciles à recycler sont les métaux et les agrégats. « Les recycleurs de métaux font la file pour venir les chercher », assure Pierre-Alexandre Grenier, directeur des opérations pour la division Bellemare environnement, du Groupe Bellemare, à Trois-Rivières. Cette entreprise exploite un centre de tri de résidus de CRD et s’est équipée pour trier et conditionner la matière afin de la conformer aux besoins des recycleurs. Elle concasse ainsi le béton, les briques et l’asphalte pour les recycler en agrégats. « À part les métaux et les agrégats, le bois est  le résidu qui a le plus de débouchés», poursuit Pierre-Alexandre Grenier. Le bois de classe 1, exempt de colle et de peinture, est broyé et envoyé à des usines de fabrication de panneaux de particules comme Tafisa ou Matériaux Spécialisés Louiseville (MSL). Les autres résidus de bois finissent en valorisation énergétique.

Les choses se compliquent avec les plastiques. « Pour les plastiques de type polyéthylène haute densité [par exemple des contenants à lave-vitre], on sépare la matière et on l’envoie à une usine de granulage. Les granules sont ensuite utilisés dans des procédés de fabrication par extrusion. Il y a un marché et on parvient à écouler la matière », explique Pierre-Alexandre Grenier. Le marché se développe aussi pour le polystyrène, grâce à Polystyvert, Polyform et le Groupe Gagnon qui collabore avec la MRC des Laurentides et Inject-Styrène, mais les industries de recyclage installées dans les grands centres ne permettent pas de rentabiliser les couts d’entreposage et de transport.

Quant au PVC, le polyvinyle chloré, « c’est le plastique mal aimé. Pour le moment, pour les revêtements extérieurs, il n’y a pas vraiment de débouchés », estime Gilles Bernardin, président du conseil d’administration et directeur général du Regroupement des récupérateurs et de recycleurs de matériaux de construction et de démolition du Québec (3RMCDQ). Pour la même raison, les tapis synthétiques (en nylon, etc.) n’ont guère de débouchés actuellement. Les choses pourraient s’améliorer puisque le gouvernement fédéral a lancé cet automne un appel de propositions pour solutionner le recyclage des résidus de plastique issus de la construction. D’ailleurs, à Montréal, l’entreprise Solathèque recycle déjà les tapis pour éviter qu’ils soient enfouis.

Les choses se compliquent encore avec les bardeaux d’asphalte et le gypse. Une solution existe pourtant pour les bardeaux. Le papier goudronné est envoyé comme combustible dans des cimenteries et les petites pierres qui contiennent un peu de bitume pourraient être envoyées à des entreprises d’enrobés bitumineux comme cela se fait aux États-Unis. Mais le MDDELCC s’y oppose par crainte d’émanations. Faute d’options, ces petites pierres finissent comme matériaux de recouvrement journalier dans les lieux d’enfouissement.

 Le 3RMCDQ a lancé un projet pilote pour trier le gypse à la source sur le chantier. © 3RMCDQ
Le 3RMCDQ a lancé un projet pilote pour trier le gypse à la source sur le chantier. © 3RMCDQ

Le gypse, à cause de sa friabilité, se retrouve dans les fractions fines issues des centres de tri et qui servent comme recouvrement journalier aux sites d’enfouissement. Or l’enfouissement du gypse dans des conditions anaérobiques génère du sulfure d’hydrogène, un gaz nauséabond et corrosif pour les équipements de récupération des gaz générés par la décomposition des matières enfouies. Le gypse et les fractions qui le contiennent ont donc été interdits dans les sites d’enfouissement.

Pour trouver une solution, le 3RMCDQ a lancé un projet pilote pour trier le gypse à la source sur le chantier. « Ça donne des résultats satisfaisants pour les centres de tri, mais le plus grand défi est d’habituer les entrepreneurs et les corps de métier à faire ce tri. Les centres de tri pourraient donner des escomptes sur les matériaux qui arrivent déjà triés », propose Gilles Bernardin. C’est ce que fait le Groupe Bellemare, où le coût pour déposer le gypse trié à la source est de 50 $ la tonne, comparativement à 70 $ pour les matériaux pêle-mêle. Il pourra ensuite est envoyé chez le premier recycleur de cette matière au Québec, Recycle Gypse, qui revend la poudre récupérée comme amendement ou engrais agricole ou comme matière première utilisée par les fabricants de placoplâtre. 

Le tri à la source améliorera aussi le recyclage d’autres résidus, car pour le moment, quand les isolants de polystyrène et les membranes en polyéthylène arrivent en miettes au centre de tri, ils finissent dans les fractions fines. Pire, bon nombre de matériaux collés ne peuvent être ni séparés ni triés. « La mousse de polyuréthane colle au bois de classe 1 et le contamine. On ne peut pas l’envoyer à la fabrication de panneaux de particules, illustre Pierre-Alexandre Grenier. On se fait aussi acheminer du béton [fusionné] avec des membranes imperméabilisantes autocollantes ». Voilà qui remet en question le mode de construction. Et si le recyclage commençait à la vraie source, celle de la construction?

Des citoyens engagés dans le recyclage

Mettre les bouteilles de verre et les journaux dans le bac de recyclage est un geste du quotidien. Mais certains ont le recyclage dans le corps ou veulent aller plus loin que le bac de recyclage. Voici des citoyens inspirants et des initiatives pour permettre à tous de pousser le recyclage une coche plus loin.

 Jean Lavallière fait du maraichage en recyclant des emballages de bois de construction © Jean Lavallière
Jean Lavallière fait du maraichage en recyclant des emballages de bois de construction © Jean Lavallière

Le maraicher recycleur

Jean Lavallière a remis en question sa façon de se loger et de gagner sa vie. Il a commencé par recycler une vieille roulotte de 20 ans pour en faire un VR quatre saisons, autonome en énergie et confortable dans laquelle il habite. Par la suite, il a développé une technique de maraichage associant la permaculture et le recyclage d’emballages de paquets de bois de construction. Quand il va chez Rona, ce n’est pas toujours pour faire des emplettes, mais pour récupérer les emballages. « Le magasin à côté de chez moi met 1 000 emballages aux vidanges par année », observe-t-il. Jean Lavallière s’en sert comme paillis à l’instar des bâches noires agricoles. En gardant l’humidité et en éliminant les mauvaises herbes, il s’évite 80 % du travail de maraichage. À Sainte-Martine, où il dispose d’une terre de trois acres, il a ainsi cultivé 100 000 plants d’ail et expérimenté sa technique maraichère sur d’autres plantes potagères. Évidemment, en bon recycleur, il réutilise ses plastiques d’une année à l’autre. Jean Lavallière donne ainsi une deuxième vie à des milliers d’emballages plastiques, un gain environnemental autant qu’économique pour lui, puisqu’il n’a pas eu à acheter de bâches noires. D’ailleurs « j’achète jamais neuf, assure-t-il. C’est fou tout ce qu’il y a de disponible ».

 Marco Binette a construit sa maison avec des matériaux récupérés : briques, pierres, bois, tôle et même un aiguillage de chemin de fer dont il a fait un pied de table. © Marco Binette
Marco Binette a construit sa maison avec des matériaux récupérés : briques, pierres, bois, tôle et même un aiguillage de chemin de fer dont il a fait un pied de table. © Marco Binette

Construire en recyclant

Un avis qui pourrait bien être partagé par Marco Binette, lui qui a construit sa maison à partir de matériaux récupérés. Il faut dire qu’étant le président de BF-Recycle, de Saint-Christophe-d’Arthabaska, près de Victoriaville, il est habitué de dénicher toutes sortes de matériaux à droite et à gauche. Sa maison est un recueil d’histoires insolites de récupération et de créativité.

La charpente et les portes sont faites en bois massif avec du bois récupéré d’estacades mises hors service avec la fin de la drave. La toiture est faite à partir d’un rouleau de tôle d’acier endommagé par le transport. « Beaucoup des matériaux que j’ai utilisés sont des pièces endommagées en usine ou pendant le transport, des rejets industriels », commente-t-il.

Les soffites? « Une entreprise que je connaissais avait été faire le démantèlement d’une mine d’or qui utilisait des treillis de filtration en cèdre rouge de l’Ouest », raconte-t-il. Il en a fait les soffites en ajoutant de vieilles moustiquaires pour empêcher les insectes d’entrer. Les châssis? Le bois provient de poteaux de téléphone (dont il a retiré la couche extérieure goudronnée). Il a ramassé ici et là des pierres rouges du Colorado, des briques rouges, des lavabos, des radiateurs en fonte... Les briques rouges sont devenues le mur de la douche. Curiosité, dans une chambre du sous-sol, il a installé une porte, récupérée bien sûr, au plafond pour se laisser un accès aux serpentins d’eau chaude qui circulent dans le faux plafond et alimentent les radiateurs au-dessus.

 Douche en brique récupérée. © Marco Binette
Douche en brique récupérée. © Marco Binette

Avec des aiguillages de voie ferrée, il a fait le pied d’une table. Le comptoir de cuisine vient d’un étal de boucher. Dans la cave, une ancienne porte de boucherie attend d’être posée à l’entrée de la future cave à vin. Dehors, les ameublements de jardin, autour de la piscine récupérée, sont faits de palettes de manutention… « J’aime que ce soit des éléments qui ont de l’histoire », commente-t-il à propos de tous ces matériaux récupérés. Si la motivation initiale était économique, le plaisir de créer quelque chose de différent a gagné Marco Binette et sa conjointe. « Une maison, ça nous représente, c’est notre maison », conclut-il.

Il faut cependant une dose certaine de débrouillardise pour suivre la voie de Marco Binette. Mais certains entrepreneurs sont prêts à accompagner des clients dans une démarche de recyclage. C’est le cas de Nicolas Girouard, entrepreneur et président des Projets de Nicolas, sis à Montréal. Certifié écoentrepreneur par Écohabitation, il se spécialise dans la rénovation et les agrandissements. « Chaque fois qu’on démolit un mur ou un plancher, on se retrouve avec beaucoup de madriers. Je demande au client s’il veut qu’on en fasse des tablettes par exemple », illustre Nicolas Girouard.

 © Les Projets de Nicolas
© Les Projets de Nicolas

Dans un projet à Montréal il a ainsi utilisé ces madriers pour les marches d’un escalier en colimaçon et les tablettes. La bibliothèque et les armoires de cuisine sont faites avec d’anciennes boîtes à beurre achetées 100 $ dans une brocante. Une somme modeste pour un décor unique. Parfois, le client s’implique dans les travaux, ce qui permet de baisser les coûts. « Pour les bricoleurs, il y a une économie flagrante parce qu’on ne paye pas un menuisier à poncer un vieux morceau de bois », relate Nicolas Girouard. Mais ce n’est pas tout le temps vrai, tient-il à souligner. Il donne l’exemple d’un lavabo creusé à même une roche excavée du sous-sol. « Cette roche n’a rien coûté en termes de matériaux, mais elle a coûté 11 heures de travail à la sculpter », nuance-t-il. C’est au client de mesurer jusqu’où il veut aller dans le recyclage et à quel point il veut s’impliquer.

 © Les Projets de Nicolas
© Les Projets de Nicolas

Dans la vie de tous les jours

Évidemment, on ne fait pas des travaux de rénovation tous les jours. Nos déchets courants sont des restes alimentaires, des emballages, les publicités de nos publisacs… voire des vêtements démodés ou hors d’usage, appareils électroniques obsolètes. Tous ces déchets et objets inutilisés finissent par nous polluer l’esprit et nous aimerions nous en départir intelligemment. Le Festival Zéro Déchet de Montréal qui s’est tenu début novembre 2018 témoigne de cette préoccupation : 11 000 visiteurs se sont bousculés pour assister aux conférences. À défaut d’avoir assisté à ce festival, voici quelques initiatives pour permettre à chacun de recycler davantage.

Tous les jours nous épluchons pommes, carottes et autres fruits et légumes. Ceux qui compostent le constatent régulièrement : leur sac à vidange a diminué de moitié depuis qu’ils n’y mettent plus leurs épluchures. Mais en appartement, composter est compliqué. C’est pourquoi, l’organisme Craque-Bitume, en accord avec la Ville de Québec, propose le compostage communautaire et installe des bacs à compost dans les quartiers centraux où les résidents ne disposent pas de terrain pour faire leur propre compostage.

 À Québec, l’organisme Craque-Bitume et installe des bacs à compost communautaires pour les gens qui ne disposent pas d'un terrain. © Craque-Bitume
À Québec, l’organisme Craque-Bitume et installe des bacs à compost communautaires pour les gens qui ne disposent pas d'un terrain. © Craque-Bitume

Jusqu’à l’été 2018, il y avait 12 sites de compostage. N’y va cependant pas qui veut. « Les gens doivent s’inscrire et il y a une séance d’accueil au départ pour les informer sur comment ça fonctionne. C’est important parce que les bacs sont installés dans des lieux publics et si le compostage est mal fait, on se tire dans le pied », explique Louis Guillemette, agent de liaison chez Craque-Bitume. Les 12 sites rejoignent 550 résidents. Pour une ville de la taille de Québec, on devine que c’est insuffisant. « On avait des listes d’attente de ménages qui veulent composter depuis plusieurs années », confirme Louis Guillemette. Pour y remédier, Craque-Bitume et la Ville de Québec ont ajouté 10 autres sites de compostage à l’automne 2018. Et pour les mordus de compostage à domicile, l’organisme propose aussi le balcon-compostage et le vermicompostage.

Il y a aussi dans nos armoires quelques vêtements qui trainent parce que démodés ou trop petits. Les Super Recycleurs sont là pour leur donner une deuxième vie. Fondé par Marie-Claude Guérin, cet organisme de Montréal et d’Ottawa propose aux écoles d’organiser des collectes de vêtements pour financer un projet communautaire ou humanitaire. Le principe est simple : l’école organise la collecte et les Super Recycleurs payent l’école en fonction du poids de vêtements récolté. Environ 200 écoles participent chaque année et récupèrent en moyenne près de 800 kg de vêtements, ce qui leur vaut 300 $. Avec cette somme, elles verdissent leur cour, modernisent leurs abreuvoirs pour inciter les élèves à y boire plutôt que de consommer l’eau embouteillée, achètent des jeux et des livres pour le service de garde… « On vérifie que l’argent va aux élèves et non à l’administration et à la fin de l’année, on rencontre la direction pour s’assurer que le projet a été mis en place », souligne Marie-Claude Guérin. Les vêtements récoltés s’en vont dans des friperies ou sont recyclés en chiffons. Les collectes des Super Recycleurs sont annoncées sur le site de l’organisme. Peut-être y en a-t-il une bientôt dans une école près de chez nous?

 Roch Lanthier a construit sur sa vieille terrasse un solarium pour seulement 250 $, en achetant 11 vieux volets de portes-patios pour 110 $ à l'écocentre de Saint-Jérôme. Bien que l'air y pénètre entre les planches de la terrasse, le soleil le tempère en hiver ainsi qu'un Hibachi datant de 1896 qu'il ventile par une hotte passive! Entrevue : youtube.com/maison21e
Roch Lanthier a construit sur sa vieille terrasse un solarium pour seulement 250 $, en achetant 11 vieux volets de portes-patios pour 110 $ à l'écocentre de Saint-Jérôme. Bien que l'air y pénètre entre les planches de la terrasse, le soleil le tempère en hiver ainsi qu'un Hibachi datant de 1896 qu'il ventile par une hotte passive! Entrevue : youtube.com/maison21e

Et n’y a-t-il pas aussi dans nos tiroirs quelques appareils électroniques? Ceux-là peuvent être envoyés dans certains écocentres ou aux points de collecte des Serpuariens. Là aussi un coup d’œil sur le site internet du programme Serpuariens, de l’Association pour le recyclage des produits électroniques du Québec (ARPE-Québec), permet de localiser un point de collecte près de chez nous. Les appareils électroniques sont reconditionnés ou acheminés à des recycleurs dans le cadre du programme de l’ARPE-Québec. C’est à cela que sert les écofrais que nous payons quand nous achetons un appareil électronique. « En passant par le programme de l’ARPE-Québec, la population peut avoir la conscience tranquille et l’assurance que les produits en fin de vie utile seront détournés des sites d’enfouissement ou de l’exportation illégale vers les pays en développement, et qu’ils seront recyclés dans le respect de l’environnement, tout en minimisant les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs qui les manipulent », assure par courriel Jacinthe Guy, directrice des communications et du marketing à l’ARPE-Québec.

Alors sans être des Jean Lavallière ou des Marco Binette, nous pouvons tous à notre façon être des citoyens recycleurs.

Des entreprises qui font la boucle

 © simax.ca
© simax.ca

Dans le secteur de la construction, le recyclage gagne du terrain et prend de multiples avenues. Les fabricants d'isolant de cellulose Igloo et Benolec (racheté par Soprema) sont des pionniers de longue date, recyclant le papier journal. Cascades connaît du succès avec sa division Produits Re-Plast qui fabrique du mobilier urbain et des planches de patio Perma-Deck en plastique 100 % recyclé.

On connait aussi Gaudreau Environnement avec ses dalles Régénération faites à 100 % de résidus de verre, de porcelaine et de plastique recyclés, un projet qui n’a malheureusement pas fait long feu. « Nous avons cessé la production depuis novembre 2017 parce que ça ne fait pas partie de notre core business et pensons revendre nos équipements, explique André Ferland, directeur de l’ingénierie et du traitement des matières de cette entreprise de gestion des rebuts. Nous avons été un peu victime de notre succès : il aurait fallu investir rapidement pour produire davantage, mais vendre plus pour investir davantage. C’était l’oeuf ou la poule. »

Plus récemment, Simax a annoncé son intégration plus de 80 % de polystyrène et de verre recyclé dans des mobiliers en béton.

On connait aussi Dinoflex qui recycle des pneus en planchers et tuiles de caoutchouc commerciaux,Permacon qui incorpore du verre micronisé dans des blocs de béton léger et les peintures recyclées Boomerang de Laurentide Re-source. Ces trois dernières entreprises se démarquent en produisant des déclarations environnementales de produits (DEP) qui donnent un portrait des conséquences environnementales de leur produit, sur l’ensemble du cycle de vie.

La peinture Boomerang (contenant 43 grammes de composés organiques volatils par litre) se démarque aussi du fait qu’elle est recyclée à partir des résidus de peinture des consommateurs, procédé qui génère quatre fois moins de gaz à effet de serre que la fabrication d’une peinture classique. De même, MSL et Tafisa recyclent les résidus de bois en panneaux de bois; comme son nom l’indique, Recycle Gypse Québec vend les résidus qu’elle reçoit aux fabricants de panneaux de gypse. Ces entreprises font la boucle. Dans le secteur des plastiques, le fabricant de polystyrène Polyform et Soleno aussi font la boucle, mais Soleno ajoute une touche sociale.

 © soleno.com
© soleno.com

Soleno, un engagement environnemental et social

Soleno est un fabricant de drains qui en 2014 s’est associé au Groupe RCM pour fonder Soleno Recyclage. Ici atterrissent les contenants de savon, de lave-glace et les résidus de plastique N° 2, c’est-à-dire, le polyéthylène haute densité (PHED). Soleno Recyclage trie et conditionne ces plastiques en granules qui serviront à la fabrication des drains. Le fabricant recycle ainsi 100 millions de ces contenants de PEHD par année. « C’est 100 millions de gestes des citoyens qui ont mis un contenant dans le bac de recyclage », insiste Guillaume Villemure, directeur du développement et de l’approvisionnement chez Soleno. Le tuyau Solflo Max et le drain de 4 à 10 po, qui contiennent ainsi de 60 à 90 % de PEHD post-consommation, ont reçu l’Attestation ÉCORESPONSABLE- Produit écoconçu du Conseil des industries durables.

Soleno Recyclage est aussi une entreprise d’économie sociale et fournit du travail à 65 personnes ayant des limitations fonctionnelles. Elle organise même annuellement un tournoi de tennis en double associant un joueur assis et un joueur debout. En soutien à la Fondation cancer du sein du Québec, elle a aussi produit 960 km de drains agricoles roses! Son engagement social lui a valu de recevoir le prix Engagement communautaire lors du Gala Envirolys de novembre 2018, organisé par le Conseil des entreprises en technologies environnementales du Québec.

Symbiose autour des Matériauthèques

Avant le recyclage, il y a le réemploi, et une belle symbiose du réemploi de matériaux de construction s’est mise en place dans la région de Bellechasse et de Québec.

 © lineaire-ecoconstruction.com
© lineaire-ecoconstruction.com

Au départ, c’est l’histoire d’un homme passionné, Berthier Guay, qui déconstruit à la main des maisons anciennes et des bâtiments de ferme. Il accumule des vieilles pièces de bois, des ferrures, des portes et fenêtres, des tôles... Quand Danielle Gauthier le rencontre et constate le potentiel de tous ces matériaux, elle crée avec lui l’entreprise Matériauthèques en Chaudière-Appalaches, qui vend aussi ses matériaux récupérés en Beauce. Ici, des architectes, des entrepreneurs et des designers d’intérieurs et d’extérieurs s’approvisionnent pour restaurer des maisons, ajouter une touche rustique au contemporain, créer des designs uniques. Parmi les clients, citons Linéaire-Design  et Fuzio Design.

Établie à L’Islet, Linéaire-Design se spécialise en écoconstruction de maisons à charpentes massives isolées au chanvre. Fondée par les deux fils de Berthier Guay, Samuel et Dominique Pépin-Guay, l’entreprise est un client naturel des Mathériauthèques. Elle s’y procure de vieilles charpentes et des parements qu’elle recycle dans de nouvelles maisons ou des agrandissements dans un style à la fois rustique et contemporain. « Les matériaux récupérés apportent un peu de chaleur au style contemporain plus froid », dépeint Samuel Pépin-Guay. Poussant plus loin le recyclage, les retailles d’atelier de l’entreprise sont elles-mêmes récupérées et transformées par des ébénistes qui les recyclent dans du mobilier. Mieux, Linéaire-Design construit pour pouvoir déconstruire. « Notre approche est de construire sans colle pour que la maison soit démontable en fin de vie, contrairement au mode de construction actuel ou tout est collé et cloué. On parle beaucoup d’efficacité énergétique, de provenance des matériaux, de qualité de l’air. Mais ces maisons écologiques, en fin de vie, ont souvent la même destinée que la plupart des bungalows construits de manière conventionnelle, soit l’enfouissement », déplore Samuel Pépin-Guay.

 © fuziodesign.com
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De son côté, Jessie Leclerc, designer d’intérieur propriétaire de Fuzio Design, de Québec, aime marier les matériaux récupérés et modernes. Elle trouve aux Matériauthèques des bois de grange mais aussi des bois peints, des briques, des tôles… « Les bois peints, c’est super intéressant pour faire des mosaïques ou des chambres d’enfants », illustre-t-elle. Des planches planées et huilées deviennent des comptoirs de cuisine, des bois peints deviennent des tablettes, des tôles deviennent des façades de comptoir commercial ou un plafond… Elle donne l’exemple de la boulangerie La Boule-Miche à Québec où le comptoir, les étagères, les tables, la décoration murale sont fabriqués avec des pièces de bois venant des Matériauthèques ou récupérées par le propriétaire. Quant aux poutres suspendues au plafond, elles sont l’œuvre de Linéaire-Design.

Linéaire-Design et Fuzio Design prolongent la vie de ces matériaux anciens, mais c’est quand même une perte de patrimoine bâti, regrette Samuel Pépin-Guay.

Pour en savoir davantage :

3rmcdq.qc.ca/liste_membres

annuaire.ecohabitation.com (onglet recyclage) 

voirvert.ca/outils/carrefour3rv (offre et la demande pour des matériaux et produits récupérés)

recyc-quebec.gouv.qc.ca/citoyens