Le quartier modèle de Hammarby, à Stockholm, utilise l'énergie des rebuts, de l'eau et du soleil. © White Arkitekter, Mats Egelius
Le quartier modèle de Hammarby, à Stockholm, utilise l'énergie des rebuts, de l'eau et du soleil. © White Arkitekter, Mats Egelius

À mesure que la consommation mondiale d’énergie augmente, les ressources non renouvelables telles que le gaz et le pétrole deviennent de plus en plus rares, chères et dommageables pour l’environnement. La demande en énergie a fortement augmenté avec la croissance démographique, la hausse de la taille des logements et l’utilisation des appareils ménagers dans les pays développés. De plus, les économies émergentes augmentent régulièrement leur consommation d’énergie, contribuant ainsi à cette poussée de la demande mondiale.

De nombreuses sources d’énergie propres ont été proposées comme outils essentiels dans la lutte aux changements climatiques et pour répondre aux besoins énergétiques croissants de l’humanité. Or jusqu’à présent les innovations facilitant les systèmes de chauffage et de refroidissement individuels sont inefficaces et non durables. La nouvelle norme en matière d’efficacité énergétique est la pratique du chauffage urbain : ce système est jusqu’à trois fois plus efficace pour fournir de l’énergie aux maisons individuelles que les systèmes de chauffage isolés.

Un quartier à consommation énergétique nette zéro, alimenté par une source centrale, offre d’importantes économies financières et une réduction de l’empreinte carbone à chaque ménage connecté à son réseau. Le présent article traite de ces innovations théoriques et pratiques.

Une solution plus efficace

L’énergie nette zéro représente un objectif plus réalisable au niveau communautaire qu’à l’échelle du logement individuel. Un logement net zéro ne consomme pas plus d’énergie annuellement qu’il en produit. Comme il requiert un investissement coûteux en isolation, en étanchéité et en production d’énergie renouvelable, son objectif serait beaucoup plus facile à atteindre dans des maisons en rangée ou des appartements. Bien que le chauffage solaire passif soit plus facile à installer dans une maison rurale ou de banlieue plus fenestrée, l’utilisation de l’automobile et l’infrastructure connexe dans de tels environnements neutralisent l’impact durable du projet. Tout bien considéré, les quartiers urbains peuvent soutenir de la manière la plus efficace des sources d’énergie alternatives et combinées, en partie parce que la maintenance nécessaire pour alimenter durablement de nombreux foyers se limite à une seule centrale de chauffage.

Fondamentalement, les systèmes de chauffage urbain et les bâtiments à consommation énergétique nette zéro fonctionnent à peu près de la même manière. Ils récoltent de l’énergie renouvelable dans un lieu centralisé, souvent une usine, et cette énergie sert à chauffer ou refroidir de l’eau qui est ensuite distribuée aux bâtiments dans le réseau de quartier. Elle est transportée dans chaque habitation par un tuyau souterrain. Ce réseau élaboré peut livrer de l’eau chaude, de l’eau froide ou même de la vapeur. Les tuyaux sont installés dans des tranchées ou hors sol. Diverses mesures rendent ce processus efficace : l’eau peut être retournée à l’usine principale pour être réchauffée ou refroidie à nouveau et les tuyaux qui la distribuent sont typiquement isolés pour réduire les pertes d’énergie.

Profiter des masses d'eau

Les systèmes de chauffage urbain peuvent également profiter de grandes masses d’eau à proximité grâce à des pompes à chaleur industrielles. Cette technologie extraordinaire peut extraire l’énergie de l’eau de la mer, d’une rivière ou d’un lac. En hiver l’eau sous la glace peut atteindre 4 °C (39 °F) et en été elle descend au fond du lac, car l’eau froide est plus dense que l’eau chaude. Inversement, en été les eaux de surface plus chaudes y demeurent car elles sont moins denses que les eaux froides. Le fond d’un lac, comme toute masse d’eau profonde, restera donc froid, même pendant la saison estivale. Un lac est un réservoir naturel d’eau froide, une ressource renouvelable en soi. Les systèmes de chauffage urbain peuvent exploiter l’énergie du froid de l’eau plutôt que l’eau elle-même. Les pompes à chaleur, également utilisées pour exploiter l’énergie géothermique, celle des eaux usées ou capter des pertes de chaleur, utilisent une petite quantité d’énergie, comme l’électricité, pour inverser les flux naturels de l’énergie : elles peuvent extraire la chaleur du froid ou refroidir en déplaçant la chaleur ailleurs, comme un réfrigérateur.

Tous ces atouts offrent des avantages environnementaux fabuleux. L’utilisation de ressources renouvelables au lieu de combustibles fossiles réduit la demande et la dépendance vis-à-vis des sources d’énergie primaire. En outre, le chauffage urbain fournit jusqu’à trois fois plus d’énergie aux particuliers qu’un système de chauffage isolé.

Limites du chauffage urbain

Malgré ses nombreux avantages, comme tout système d’énergie, le chauffage urbain n’est pas sans faute. L’installation d’une usine nécessite d’importants investissements initiaux de la part du quartier. Si ce dernier utilisait précédemment une autre forme d’énergie ou des chaudières individuelles, les ménages doivent être disposés à changer leur système de chauffage en chauffage urbain. Les résidents doivent également être disposés à améliorer l’isolation. Il y a donc des coûts individuels en plus d’un investissement communautaire à plus grande échelle. Et bien que les interruptions d’un système de chauffage urbain soient rares, chacune d’elles entraînera une interruption du service dans tout le quartier. Un autre coût réside dans le fait qu’un quartier doit disposer d’un établissement officiel pour gérer le système de chauffage urbain. Il est essentiel que sa politique soit axée sur les gains à long terme et les infrastructures doivent être bien planifiées pour maximiser ces gains.

L’Islande est un excellent exemple de la mise en œuvre réussie du chauffage urbain par géothermie. Plus de 90 % des foyers en Islande reçoivent de l’énergie de trois centrales qui produisent de la chaleur et de l’électricité grâce à cette technologie. Malgré l’abondance de l’énergie géothermique dans le pays, le remplacement des combustibles fossiles n’a eu lieu qu’après le premier choc pétrolier dans les années 1970.

En résumé : les quartiers net zéro et les systèmes de chauffage urbain qui les desservent sont sans aucun doute un élément essentiel des pratiques d’avenir en construction durable. Cela dit, créer une communauté à consommation énergétique nette zéro nécessite une planification et une réflexion à long terme, son chauffage urbain nécessitant un investissement initial important de la part du quartier et des individus. Les planificateurs municipaux doivent mettre en œuvre des directives concernant l’orientation des domiciles afin de favoriser les gains solaires passifs. Les ménages doivent contribuer en améliorant l’étanchéité, l’isolation et la fenestration de leur immeuble.

Malgré le coût de l’investissement initial, un système de chauffage urbain en vaut la peine. Il offre aux résidents un moyen relativement rentable de réduire leur empreinte carbone étant donné que le système repose sur des ressources renouvelables telles que l’énergie géothermique, l’énergie solaire, l’énergie éolienne, les masses d’eau et la biomasse. Il convient également de noter qu’un immeuble net zéro n’exige pas que les individus modifient leurs habitudes de consommation, mais simplement d’actualiser le système qui comble leurs besoins de chauffage, offrant ainsi à chacun un moyen réaliste de parvenir à une vie durable.

Une communauté durable modèle

Alors, comment un système de chauffage urbain devrait-il être conçu et utilisé? Comme celui de Hammarby Sjostad, reconnue comme l’une des communautés les plus durables au monde. Elle fut pensée dans le cadre de la candidature olympique de Stockholm pour accueillir les Jeux olympiques les plus « conscients de l’environnement ». Même après le rejet de la ville par le Comité international olympique, les responsables ont reconnu l’importance de la conception de collectivités viables et ont donc lancé ce projet de 20 000 logements. C’était évidemment une décision judicieuse : Hammarby est maintenant une communauté vénérée par les environnementalistes et les urbanistes du monde entier — un véritable succès dans le développement durable expérimental.

 Le système pneumatique de collecte des déchets souterrain de Hammerby.
Le système pneumatique de collecte des déchets souterrain de Hammerby.

Hammarby propose une approche rafraîchissante de la conception durable. Cet écoquartier incarne en fait de nombreux principes exemplaires : développement axé sur le transport en commun, conception à usages mixtes, priorité aux cyclistes et aux piétons, neutralité en carbone et, bien sûr, une consommation énergétique nette nulle. Il fut conçu comme une extension de la ville plutôt que comme une banlieue. En dépit de son éloignement du centre-ville, Hammarby a un sens nettement urbain.

Plusieurs solutions de remplacement au transport en voiture y ont été mises en œuvre, dans l’espoir d’atteindre un objectif de 0,5 voiture par unité de logement. Deux nouvelles lignes de bus fonctionnant au biocarburant desservent le quartier et une ligne de tramway en traverse le centre pour desservir une station de métro à proximité, offrant ainsi aux résidents une connexion facile au centre-ville. Stockholm étant composée de plusieurs îles, un service de traversier gratuit relie également Hammarby au reste de la ville.

 Un tiers des déchets est incinéré et les deux tiers restants sont convertis en chaleur utilisée pour chauffer les immeubles et en biogaz qui alimente les bus municipaux.
Un tiers des déchets est incinéré et les deux tiers restants sont convertis en chaleur utilisée pour chauffer les immeubles et en biogaz qui alimente les bus municipaux.

Le quartier est par ailleurs desservi par un système de collecte pneumatique souterrain des déchets et des matières recyclables fourni par l’entreprise suédoise Envac. L’air sous pression transporte les déchets vers des points de collecte centraux. Ceci élimine le besoin de services de collecte par camions et réduit ainsi fortement les émissions de gaz à effet de serre associées. Seul un tiers de l’usine de traitement des matières résiduelles est réservé à l’incinération. Les deux tiers restants sont destinés à la gestion des émissions – en d’autres termes, ils permettent que 94 % de celles-ci soient rejetées sous forme de vapeur d’eau. Les eaux usées liquides qui en résultent sont converties en chaleur et en biogaz, utilisés à leur tour pour alimenter les bus municipaux. Quant aux rejets organiques solides, ils sont utilisés comme compost pour nourrir les zones boisées.

Énergie solaire et biomasse 

La participation de quarante entreprises privées sous-traitantes à la construction du quartier a entraîné une concurrence accrue, chacune souhaitant que sa contribution soit le bâtiment le plus écologique sur le site. Les entrepreneurs ont donc fait des efforts spectaculaires. En fait, cet esprit de concurrence a donné lieu à certaines des plus grandes réalisations de Hammarby, notamment dans le domaine des systèmes solaires photovoltaïques (PV). Dès le début, les constructeurs ont reconnu les avantages conférés par l’installation de modules PV sur leurs structures. Résultat : en été, 50 % de l’énergie utilisée à Hammarby provient des modules solaires. L’énergie solaire et celle produite par les déchets organiques comblent la grande majorité des besoins énergétiques du quartier, ce qui signifie que celui-ci est presque entièrement alimenté par des énergies renouvelables. De plus, diverses techniques ont été utilisées pour assurer un ombrage maximal en été afin de garder les appartements au frais.

Le succès du quartier Hammarby réside non seulement dans son infrastructure exceptionnelle, mais également dans l’engagement de ses citoyens en faveur d’une philosophie durable. En premier lieu, les Suédois, en tant que peuple, ont largement adopté le mode de vie vert. Par exemple, 79 % des Stockholmois marchent, font du vélo ou utilisent les transports en commun pour leurs trajets quotidiens. Au cours des dix dernières années, l’usage du vélo a augmenté de 70 % dans la capitale suédoise. Soucieux d’améliorer ces engagements déjà impressionnants en matière de protection de l’environnement, le promoteur de Hammarby a créé un centre de formation pour encourager les comportements écologiques. Il a généré des résultats remarquables. Par exemple, la consommation d’eau quotidienne a été réduite à 150 litres (40 gallons), contre 200 litres en moyenne dans la ville.

Abordabilité + convivialité = succès

Les coûts de logement à Hammarby se comparent avantageusement aux appartements du centre-ville. Cela constitue une preuve supplémentaire que la durabilité peut être accessible à tous. L’attrait de l’abordabilité, associé à la conception conviviale pour les piétons et cyclistes ainsi qu’à l’abondance d’écoles et de garderies, a rendu ce quartier très populaire parmi les jeunes familles – une autre raison pour laquelle Hammarby est si animé.

Hammarby a établi Stockholm comme capitale mondiale de la conception durable. En effet, le district est un modèle de premier ordre pour un changement soucieux de l’environnement, en particulier en ce qui concerne l’économie et la production d’énergie. On ne peut que souhaiter que davantage de communautés suivent son exemple.

Avi Friedman, PhD, est architecte, professeur, auteur à succes et observateur social. Contactez-le à avi.friedman@mcgill.ca

Charles Grégoire, M. Arch, est chercheur chez Avi Friedman Consultants Inc.